VOYAGE SPIRITE EN 1862

Allan Kardec

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Quelques personnes voient dans le Spiritisme un danger pour les classes peu éclairées, qui, ne pouvant le comprendre dans son essence pure, pourraient en dénaturer l'esprit et le faire dégénérer en superstition. Que leur répondre ?

On pourrait en dire autant des choses les plus utiles, et s'il fallait retrancher tout ce dont on peut faire un mauvais usage, je ne sais trop ce qui resterait, à commencer par l'imprimerie, à l'aide de laquelle on peut répandre des doctrines pernicieuses, la lecture, l'écriture, etc. On pourrait même demander à Dieu pourquoi il a donné une langue à certaines personnes. On abuse de tout, même des choses les plus saintes. Si le Spiritisme fût sorti de la classe ignorante, nul doute qu'il ne s'y fût mêlé beaucoup de superstitions, mais il a pris naissance dans la classe éclairée, et ce n'est qu'après y avoir été élaboré et épuré qu'il pénètre aujourd'hui dans les rangs inférieurs, où il arrive dégagé, par l'expérience et l'observation, de tout mauvais mélange. Ce qui serait vraiment dangereux pour le vulgaire, c'est le charlatanisme ; aussi ne saurait-on apporter trop de soin à combattre l'exploitation, source inévitable d'abus, par tous les moyens possibles.

Nous ne sommes plus au temps des parias pour les lumières, où l'on disait : ceci est bon pour les uns, cela est bon pour les autres. La lumière pénètre dans l'atelier et jusque sous le chaume, à mesure que le soleil de l'intelligence s'élève sur l'horizon et darde des rayons plus ardents. Les idées spirites suivent le mouvement ; elles sont dans l'air, et il n'est au pouvoir de personne de les arrêter ; ce qu'il faut, c'est en diriger le cours. Le point capital du Spiritisme, c'est le côté moral ; c'est là qu'il faut s'efforcer de faire comprendre, et il est remarquable que c'est ainsi qu'il est généralement envisagé maintenant, même dans la classe la moins éclairée ; aussi son effet moralisateur est-il manifeste. En voici un exemple entre des milliers :

Dans un groupe auquel j'assistais pendant mon séjour à Lyon, un homme en costume de travailleur se lève au fond de la salle et dit : « Monsieur, il y a six mois, je ne croyais ni à Dieu, ni au diable, ni à mon âme ; j'étais persuadé que quand nous sommes morts, tout est mort ; je ne craignais pas Dieu, puisque je n'y croyais pas ; je ne craignais pas les peines futures, puisque, dans mon idée, tout finissait avec la vie ; c'est vous dire que je ne priais pas, car, depuis ma première communion, je ne crois pas avoir mis le pied dans une église ; de plus j'étais violent et emporté ; enfin, je ne craignais rien, pas même la justice humaine. Il y a six mois, j'étais encore comme cela ; c'est alors que le Spiritisme est venu ; pendant deux mois j'ai lutté ; mais j'ai lu, j'ai compris, et je n'ai pu me refuser à l'évidence ; une vraie révolution s'est faite en moi ; aujourd'hui je ne suis plus le même homme ; je prie tous les jours, et je vais à l'église ; quant à mon caractère, demandez à mes camarades si j'ai changé ! Autrefois, je m'irritais de tout, un rien m'exaspérait : maintenant je suis tranquille et heureux, et je bénis Dieu de m'avoir envoyé la lumière ».

Comprenez-vous ce dont est capable un homme arrivé au point de ne plus craindre même la justice humaine ? Niera-t-on l'effet salutaire du Spiritisme sur celui-ci ? Et il y en a des milliers comme lui. Tout illettré qu'il est, il ne l'a pas moins compris ; c'est que le Spiritisme n'est point une théorie abstraite qui ne s'adresse qu'aux savants ; il parle au coeur, et pour comprendre le langage du coeur, il n'est pas besoin de diplôme ; faites-le pénétrer par cette voie dans la mansarde et sous le chaume, et il fera des miracles.

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