REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866

Allan Kardec

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L'épinette d'Henry III

Le fait ci-après est une suite de l'intéressante histoire de l'Air et paroles du roy Henry III, rapportée dans la Revue de juillet 1865, page 193. Depuis lors, M. Bach est devenu médium écrivain, mais il pratique peu, à cause de la fatigue qui en résulte pour lui. Il ne le fait que lorsqu'il y est incité par une force invisible, qui se traduit par une vive agitation et un tremblement de la main, car alors la résistance est plus pénible que l'exercice. Il est mécanique, dans le sens le plus absolu du mot, n'ayant ni conscience ni souvenir de ce qu'il écrit. Un jour qu'il se trouvait dans cette disposition, il écrivit le quatrain suivant :

Le roy Henry donne cette grande espinette

A Baldazzarini, très-bon musicien.

Si elle n'est bonne ou pas assez coquette

Pour souvenir, du moins, qu'il la conserve bien.

L'explication de ces vers, qui, pour M. Bach, n'avaient pas de sens, lui fut donnée en prose.

« Le roy Henry mon maître, qui m'a donné l'espinette que tu possèdes, avait écrit un quatrain sur un morceau de parchemin qu'il avait fait clouer sur l'étui, et me l'envoya un matin. Quelques années plus tard, ayant un voyage à faire, et craignant, puisque j'emportais mon espinette avec moi pour faire de la musique, que le parchemin ne fût arraché et perdu, je l'ai enlevé, et, pour ne pas le perdre, je l'ai mis dans une petite niche, à gauche du clavier, où il est encore. »

L'épinette est l'origine des pianos actuels dans leur plus grande simplicité, et se jouait de la même manière ; c'était un petit clavecin à quatre octaves, d'environ un mètre et demi de long sur quarante centimètres de large, et sans pieds. Les cordes, à l'intérieur, étaient disposées comme dans les pianos, et frappées à l'aide de touches. On le transportait à volonté en l'enfermant dans un étui, comme on fait pour les basses et les violoncelles. Pour s'en servir, on le posait sur une table ou sur un X mobile.

L'instrument était alors à l'exposition du musée rétrospectif, aux Champs-Élysées, où il n'était pas possible de faire la recherche indiquée. Lorsqu'il lui fut rapporté, M. Bach, de concert avec son fils, s'empressa d'en fureter tous les recoins, mais inutilement, de sorte qu'il crut d'abord à une mystification. Néanmoins, pour n'avoir rien à se reprocher, il le démonta complètement, et découvrit, à gauche du clavier, entre deux planchettes, un intervalle si étroit, qu'on n'y pouvait introduire la main. Il fouilla ce réduit, plein de poussière et de toiles d'araignées, et en retira un morceau de parchemin plié, noirci par le temps, long de trente et un centimètres sur sept et demi de large, sur lequel était écrit le quatrain suivant, en assez gros caractères de l'époque :

Moy le Roy Henry trois octroys cette espinette

A Baltasarini, mon gay musicien,

Mais sis dit mal soñe, ou bien ma moult simplette

Lors pour mon souvenir dans lestuy garde bien.

Henry.



Ce parchemin est percé aux quatre coins de trous qui sont évidemment ceux des clous ayant servi à le fixer sur la boîte. Il porte en outre, sur les bords, une multitude de trous alignés et régulièrement espacés, qui paraissent avoir été faits par de très petits clous. Il a été exposé dans la salle des séances de la Société, et nous avons eu tout le loisir de l'examiner, ainsi que l'épinette, sur laquelle M. Bach nous a fait entendre l'air et les paroles dont nous avons rendu compte, et qui lui ont été, comme on le sait, révélés en songe.

Les premiers vers dictés reproduisaient, comme on le voit, la même pensée que ceux du parchemin, dont ils sont la traduction en langage moderne, et cela avant que ceux-ci ne fussent découverts.

Le troisième vers est obscur, et contient surtout le mot ma qui semble n'avoir aucun sens, et ne point se lier à l'idée principale, et qui, dans l'original, est entouré d'un filet en carré ; nous en avions inutilement cherché l'explication, et M. Bach lui-même n'en savait pas davantage. Étant un jour chez ce dernier, il eut spontanément, en notre présence, une communication de Baldazzarini, donnée à notre intention et ainsi conçue :


« Amico mio,

Je suis content de toi ; tu as écrit ces vers dans mon espinette ; mon vœu est accompli, je suis tranquille à présent. (Allusion à d'autres vers dictés à M. Bach et que Baldazzarini lui avait dit d'écrire dans l'instrument.) Je veux dire un mot au savant président qui vient te visiter.

O toi, Allan Kardec, dont les travaux utiles

Instruisent chaque jour des spirites nouveaux,

Tu ne nous fais jamais des questions futiles ;

Aussi les bons Esprits éclairent tes travaux.

Mais il te faut lutter contre les ignorants

Qui, sur notre terre, se croyent des savants.

Ne te rebute pas ; la tâche est difficile ;

Pour tout propagateur fût-ce jamais facile ?

Le roy plaisantait mon accent dans ses vers ; je disais toujours ma au lieu de mais. Adio, amico.

Baldazzarini. »



Ainsi a été donnée, sans question préalable, l'explication de ce mot ma. C'est le mot italien signifiant mais, intercalé par plaisanterie, par lequel le roi désignait Baldazzarini, qui, comme beaucoup de ceux de sa nation, le prononçait souvent. Ainsi le roi, en donnant cette épinette à son musicien, lui dit : Si elle n'est pas bonne, si elle sonne mal, ou si ma (Baldazzarini) la trouve trop simple, de trop peu de valeur, qu'il la garde dans son étui, en souvenir de moi. Le mot ma est entouré d'un filet, comme un mot entre parenthèses. Nous aurions, certes, longtemps cherché cette explication, qui ne pouvait être le reflet de la pensée de M. Bach. puisque lui-même n'y comprenait rien. Mais l'Esprit a vu que nous en avions besoin pour compléter notre compte rendu, et il a profité de l'occasion pour nous la donner sans que nous ayons eu la pensée de la lui demander, car, lorsque M. Bach se mit à écrire, nous ignorions, ainsi que lui, quel était l'Esprit qui se communiquait.

Une importante question restait à résoudre, c'était de savoir si l'écriture du parchemin était bien réellement de la main d'Henri III. M. Bach se rendit à la Bibliothèque impériale pour la comparer avec celle des manuscrits originaux. On en trouva d'abord avec lesquels il n'y avait pas une similitude parfaite, mais seulement un même caractère d'écriture. Avec d'autres pièces, l'identité était absolue, tant pour le corps de l'écriture que pour la signature ; cette différence provenait de ce que l'écriture du roi était variable, circonstance qui sera expliquée tout à l'heure.

Il ne pouvait donc rester de doute sur l'authenticité de cette pièce, quoique certaines personnes, qui professent une incrédulité radicale à l'endroit des choses dites surnaturelles, aient prétendu que ce n'était qu'une imitation très exacte. Or nous ferons observer qu'il ne s'agit point ici d'une écriture médianimique donnée par l'Esprit du roi, mais d'un manuscrit original écrit par le roi lui-même, de son vivant ; et qui n'a rien de plus merveilleux que ceux que des circonstances fortuites font chaque jour découvrir. Le merveilleux, si merveilleux il y a, n'est que dans la manière dont son existence a été révélée. Il est bien certain que si M. Bach se fût contenté de dire qu'il l'avait trouvé par hasard dans son instrument, on n'eût élevé aucune objection.

Ces faits avaient été rapportés dans la séance de la Société du 19 janvier 1866, à laquelle assistait M. Bach. M. Morin, membre de la Société, médium somnambule très lucide, et qui, dans son sommeil magnétique, voit parfaitement les Esprits et s'entretient avec eux, assistait à cette séance en état de somnambulisme. Pendant la première partie de la séance, consacrée à des lectures diverses, à la correspondance et au récit des faits, M. Morin, dont on ne s'occupait pas, paraissait en conversation mentale avec des êtres invisibles ; il leur souriait, échangeait avec eux des poignées de main. Lorsque vint son tour de parler, on lui demanda de désigner les Esprits qu'il voyait et de les prier de nous transmettre, par son intermédiaire, ce qu'ils voudraient nous dire pour notre instruction. Il ne lui fut pas adressé une seule question directe. Nous ne mentionnons sommairement que quelques-uns des faits qui se sont passés, pour donner une idée de la physionomie de la séance, et pour en venir au sujet principal qui nous occupe ici.

Vous les nommer tous, dit-il, serait chose impossible, car le nombre en est trop grand ; il y en a d'ailleurs beaucoup que vous ne connaissez pas, et qui viennent pour s'instruire. La plupart voudraient parler, mais ils cèdent la place à ceux qui ont, pour le moment, des choses plus importantes à dire.

Il y a d'abord ici, à côté de nous, notre ancien collègue, le dernier parti pour le monde des Esprits, M. Didier, qui ne manque pas une de nos séances, et que je vois exactement comme de son vivant, avec la même physionomie ; on dirait qu'il est là avec son corps matériel ; seulement il ne tousse plus. Il me fait part de ses impressions, de son opinion sur les choses actuelles, et me charge de vous transmettre ses paroles.

Vint ensuite un jeune homme tout récemment suicidé dans des circonstances exceptionnelles et dont il décrivit la situation, qui présente une phase en quelque sorte nouvelle de l'état de certains suicidés, après la mort, en raison des causes déterminantes du suicide et de la nature de leurs pensées.

Puis vint M. B…, fervent Spirite, mort depuis quelques jours à la suite d'une opération chirurgicale, et qui avait puisé dans sa croyance et dans la prière la force de supporter courageusement et avec résignation ses longues souffrances. « Quelle reconnaissance, dit-il, ne dois-je pas au Spiritisme ! sans lui, j'aurais certainement mis fin à mes tortures, et je serais comme ce malheureux jeune homme que vous venez de voir. La pensée du suicide m'est venue plus d'une fois ; mais chaque fois je l'ai repoussée ; sans cela, que mon sort serait triste ! Aujourd'hui je suis heureux, oh ! bien heureux, et je remercie nos frères qui m'ont assisté de leurs prières pleines de charité. Ah ! si l'on savait quelles douces et salutaires effluves la prière du cœur verse sur les souffrances !

« Mais où donc me conduit-on ? continue le somnambule ; dans un misérable logement ! Il y a là un homme jeune encore qui se meurt de la poitrine…, le dénuement est complet : rien pour se chauffer, rien pour sa nourrir ! Sa femme, épuisée par la fatigue et les privations, ne peut plus travailler… Ah ! dernière et triste ressource !… elle n'a plus de cheveux… elle les a coupés et vendus pour avoir quelques sous !… Combien de jours cela les fera-t-il vivre ?… C'est affreux ! »

Sur la demande qui lui est faite s'il peut indiquer le domicile de ces pauvres gens, il dit : « Attendez ! » Puis il semble écouter ce qu'on lui dit ; il prend un crayon et écrit un nom avec indication de la rue et du numéro. Vérification en ayant été faite dès le lendemain matin, tout fut trouvé parfaitement exact.

Remis de son émotion, et son Esprit revenu au lieu de la séance, il parla encore de plusieurs autres personnes et de diverses choses qui furent pour nos guides spirituels le sujet d'instructions d'une haute portée, et que nous aurons occasion de rapporter une autre fois.

Tout à coup il s'écrie : « Mais il y a ici des Esprits de toutes sortes ! Il y en a qui ont été princes, rois ! En voici un qui s'avance ; il a la figure longue et blême, une barbiche pointue, une espèce de bonnet surmonté d'une flammèche. Il me dit de vous dire :

« Le parchemin dont vous avez parlé et que vous avez sous les yeux a bien été écrit de ma propre main, mais je vous dois à ce sujet une explication.

De mon temps on n'écrivait pas avec autant de facilité qu'aujourd'hui, surtout les hommes dans ma position. Les matériaux étaient moins commodes et moins perfectionnés ; l'écriture était plus lente, plus grosse, plus lourde ; aussi reflétait-elle mieux les impressions de l'âme. Je n'étais pas, vous le savez, d'une humeur égale, et, selon que j'étais en bonne ou mauvaise disposition, mon écriture changeait de caractère. C'est ce qui explique la différence que l'on remarque dans les manuscrits qui restent de moi. Quand j'ai écrit ce parchemin pour mon musicien en lui envoyant l'épinette, j'étais dans un de mes moments de satisfaction. Si vous recherchez dans mes manuscrits ceux dont l'écriture ressemble à celle-ci, vous reconnaîtrez, par le sujet qu'ils traitent, que je devais être dans un de ces bons moments, et vous aurez là une autre preuve d'identité. »

A l'occasion de la découverte de cet écrit, dont le Grand Journal a parlé dans son numéro du 14 janvier, le même journal contient, dans celui du 21 janvier, l'article suivant :

Coulons à fond la question de correspondance, en mentionnant la lettre de madame la comtesse de Martino, relative à l'épinette de M. Bach. Madame la comtesse de Martino est persuadée que le correspondant surnaturel de M. Bach est un imposteur, attendu qu'il devrait signer Baldazzarini et non Baltazarini, ce qui est de l'italien de cuisine. »

Nous ferons remarquer d'abord que cette chicane à propos du l'orthographe d'un nom propre est passablement puérile, et que l'épithète d'imposteur, à défaut du correspondant invisible, auquel madame la comtesse ne croit pas, retombe sur un homme honorable, ce qui n'est pas de fort bon goût. En second lieu, Baldazzarini, simple musicien, espèce de troubadour, pouvait bien ne pas posséder la langue italienne dans sa pureté, à une époque où l'on ne se piquait pas d'instruction. Contesterait-on l'identité d'un Français qui écrirait en français de cuisine, et n'en voit-on pas qui ne savent pas écrire correctement leur propre nom ? Baldazzarini, par son origine, ne devait pas être beaucoup au-dessus de la cuisine. Mais cette critique tombe devant un fait, c'est que les Français, peu familiarisés avec les nuances de l'orthographe italienne, en entendant prononcer ce nom, l'écrivent naturellement à la française. Le roi Henri III lui-même, dans le quatrain retrouvé et cité plus haut, l'écrit simplement Baltasarini, et cependant il n'était pas un cuisinier. Ainsi en a-t-il été de ceux qui ont adressé au Grand Journal le récit du fait en question. Quant au musicien, dans les diverses communications qu'il a dictées à M. Bach et dont nous avons plusieurs originaux entre les mains, il a signé Baldazzarini et quelquefois Baldazzarrini, ainsi qu'on peut s'en convaincre ; la faute n'en est donc point à lui, mais ceux qui, par ignorance, ont francisé son nom, et à nous tout le premier.

Il est vraiment curieux de voir les puérilités auxquelles s'attachent les adversaires du Spiritisme, preuve évidente de la pénurie de bonnes raisons.

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