REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1866

Allan Kardec

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Variétés

Mademoiselle Dumesnil, jeune fille attractive

Plusieurs journaux ont parlé d'une jeune fille douée de la singulière faculté d'attirer à elle les meubles et autres objets placés dans un certain rayon, et d'enlever par le seul contact une chaise sur laquelle une personne est assise. Le Petit Journal du 4 novembre contenait à ce sujet l'article suivant :

« La pie blanche de Dinan n'est pas plus surprenante comme phénomène que la demoiselle magnétique indiquée dans l'envoi suivant.

Monsieur,

Je viens vous signaler un fait qui pourrait présenter beaucoup d'intérêt à vos lecteurs ; si vous vouliez vous donner la peine de le vérifier, vous y trouveriez une ample matière à de nombreux articles.

Une jeune fille, mademoiselle Dumesnil, âgée de treize ans, possède un fluide d'une force attractive extraordinaire, qui fait venir à elle tous les objets en bois qui l'entourent ; ainsi, les chaises, les tables et tout ce qui est en bois se dirige instantanément vers elle ; cette faculté s'est révélée chez cette jeune fille depuis environ trois semaines ; jusqu'à présent ce phénomène extraordinaire, et qu'on n'a pu encore expliquer, ne s'est manifesté qu'aux personnes de l'entourage de cette jeune fille, les voisins, etc., qui ont constaté le fait depuis quelques jours ; la faculté surprenante de cette jeune fille s'est répandue et on m'assure qu'elle est en voie de traiter avec un entrepreneur qui se propose de faire voir publiquement ce phénomène.

Dès hier elle est allée chez un grand personnage à qui on l'a signalée ; la publicité ne peut tarder de s'emparer de cet événement, et je m'empresse de vous en prévenir pour que vous en ayez la primeur.

Cette jeune fille exerce l'état de brunisseuse et reste avec ses parents, qui sont de pauvres gens.

Dans l'espoir que vous nous expliquerez ce mystère inexplicable, je vous prie de recevoir mes salutations bien sincères.

Brunet,

Employé, maison Christofle, 56, rue de Bondy.

Je n'en sais pas plus que vous, mon cher correspondant, en fait de science magnétique, et je regarde comme une simple curiosité votre charmeuse du chêne, du hêtre et de l'acajou, à laquelle je conseille de ne brûler, cet hiver, dans la cheminée… que du charbon… »



Voilà certes un phénomène étrange, bien digne d'attention, et qui doit avoir une cause. S'il est avéré qu'il n'est le fait d'aucun subterfuge, ce dont il est facile de s'assurer, et si les lois connues sont impuissantes à l'expliquer, il est évident qu'il révèle l'existence d'une force nouvelle ; or la découverte d'un principe nouveau peut être féconde en résultats. Ce qui est au moins aussi surprenant que ce phénomène, c'est de voir des hommes d'intelligence n'avoir pour de pareils faits qu'une dédaigneuse indifférence et des railleries de mauvais goût. Il n'était pourtant question ni d'Esprits ni de Spiritisme. Quelle conviction attendre de gens qui n'en ont aucune, qui n'en recherchent et n'en désirent aucune ? Quelle étude sérieuse peut-on en espérer ? S'efforcer de les convaincre, n'est-ce pas perdre son temps, user inutilement des forces que l'on pourrait mieux employer avec les hommes de bonne volonté, qui ne manquent pas ? Nous l'avons toujours dit : Avec les gens de parti pris, qui ne veulent ni voir ni entendre, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de les laisser tranquilles et de leur prouver qu'on n'a pas besoin d'eux. Si quelque chose doit triompher de leur incrédulité, les Esprits sauront bien le trouver et l'employer quand le moment sera venu.

Pour en revenir à la jeune fille, ses parents, qui sont dans une position précaire, en voyant la sensation qu'elle produisait et le concours de gens notables qu'elle attirait, se dirent qu'il y avait sans doute là pour eux une source de fortune. Il ne faut pas leur en vouloir, car, ignorant jusqu'au nom du Spiritisme et des médiums, ils ne pouvaient comprendre les conséquences d'une exploitation de ce genre. Leur fille était pour eux un phénomène ; ils résolurent donc de l'installer sur les boulevards parmi les autres phénomènes. On fit mieux ; on l'installa au Grand-Hôtel, lieu plus convenable pour l'aristocratie productive. Mais, hélas ! les rêves dorés s'évanouirent bientôt. Les phénomènes ne se produisirent plus qu'à de rares intervalles et d'une manière si irrégulière qu'il fallut abandonner presque aussitôt le splendide séjour et retourner à l'atelier. Mettez donc en exhibition une faculté si capricieuse qui fait défaut juste au moment où les spectateurs qui ont payé leurs places sont rassemblés et attendent qu'on leur en donne pour leur argent ! En fait de phénomène, mieux vaut, pour la spéculation, avoir un enfant à deux têtes, parce qu'au moins il est toujours là. Que faire si l'on n'a pas des ficelles pour suppléer aux acteurs invisibles ? Le parti le plus honorable est de se retirer. Il paraît toutefois, d'après une lettre publiée dans un journal, que la jeune fille n'a pas entièrement perdu son pouvoir, mais il est sujet à de telles intermittences qu'il devient difficile de saisir le moment favorable.

Un de nos amis, Spirite éclairé et profond observateur, a pu être témoin du phénomène, et a été médiocrement satisfait du résultat. « Je crois, nous disait-il, à la sincérité de ces personnes, mais pour des incrédules, l'effet ne se produit pas, en ce moment, dans des conditions à défier tout soupçon. Je ne nie pas, sachant la chose possible, je constate mes impressions. Comme j'ai pris de soi-disant médiums à effets physiques en flagrant délit de fraude, je me suis rendu compte des manœuvres par lesquelles on peut simuler certains effets, et abuser les gens qui ne connaissent pas les conditions des effets réels, de sorte que je n'affirme qu'à bon escient ne m'en rapportant pas à mes yeux. Dans l'intérêt même du Spiritisme, mon premier soin est d'examiner si la fraude est possible, à l'aide de l'adresse, ou si l'effet peut être dû à une cause matérielle vulgaire. Du reste, a-t-il ajouté, on se défend là d'être Spirite, d'agir par les Esprits et même d'y croire. »

Il est à remarquer que depuis la mésaventure des frères Davenport, tous les exhibiteurs de phénomènes extraordinaires repoussent toute participation des Esprits dans leur affaire, et ils font bien ; le Spiritisme ne peut que gagner à ne pas être mêlé à ces parades. C'est un service de plus rendu par ces messieurs, car ce n'est pas par de tels moyens que le Spiritisme recrutera des prosélytes.

Une autre remarque, c'est que chaque fois qu'il s'agit de quelque manifestation spontanée ou d'un phénomène quelconque attribué à une cause occulte, on prend généralement pour experts des gens, des savants parfois, qui ne savent pas le premier mot de ce qu'ils doivent observer et qui viennent avec une idée préconçue de négation. Qui charge-t-on de décider s'il y a ou non intervention des Esprits ou une cause spirituelle ? Précisément des gens qui nient la spiritualité, qui ne croient pas aux Esprits et ne veulent pas qu'il y en ait. On est sûr d'avance de leur réponse. On se garderait bien de prendre l'avis de quiconque serait simplement soupçonné de Spiritisme, parce que, d'abord, ce serait accréditer la chose, et ensuite que l'on craindrait une solution contraire à celle qu'on veut. On ne réfléchit pas qu'un Spirite éclairé seul est apte à juger des circonstances dans lesquelles les phénomènes spirites peuvent se produire, comme un chimiste est seul apte à connaître la composition d'un corps, et qu'à cet égard les Spirites sont plus sceptiques que beaucoup de gens ; que loin d'accréditer, par complaisance, un phénomène apocryphe, ils ont tout intérêt à le signaler comme tel et à démasquer la fraude.

Il ressort toutefois de ceci une instruction : l'irrégularité même des faits est une preuve de sincérité ; s'ils étaient le résultat de quelque moyen factice, ils se produiraient à point nommé. C'est la réflexion que fait un journaliste qui était invité à aller au Grand-Hôtel ; il y avait ce jour-là quelques autres notables invités, et, malgré deux heures d'attente la jeune fille n'obtint pas le plus petit effet. « La pauvre petite, dit le journaliste, était désolée, et son visage trahissait l'inquiétude. Rassurez-vous, lui dit-il, non-seulement cet échec ne me décourage pas, mais il me porte à croire votre récit sincère. S'il y avait quelque charlatanisme ou quelque truc dans votre cas, vous n'eussiez pas manqué votre coup. Je reviendrai demain. » Il revint, en effet, cinq fois de suite sans plus de résultats ; la sixième fois elle avait quitté l'hôtel. « D'où je conclus, ajoute le journaliste, que la pauvre mademoiselle Dumesnil, après avoir bâti de beaux châteaux aux frais de ses vertus électromagnétiques, a dû reprendre sa place dans les ateliers de polissage de M. Ruolz. »

Les faits ayant été constatés, il est certain qu'il y avait en elle une disposition organique spéciale qui se prêtait à ce genre de phénomène ; mais, tout subterfuge à part, il est certain que si sa faculté eût dépendu de son organisme seul, elle l'aurait eue, comme la torpille et le gymnote, toujours à sa disposition. Puisque sa volonté, son plus ardent désir, étaient impuissants à produire le phénomène, il y avait donc dans ce fait une cause qui lui était étrangère. Quelle est cette cause ? Evidemment celle qui régit tous les effets médianimiques : le concours des Esprits sans lequel les médiums les mieux doués n'obtiennent rien. Mademoiselle Dumesnil est un exemple qu'ils ne sont aux ordres de personne. Tout éphémère qu'ait été sa faculté, elle a plus fait pour la conviction de certaines gens que si elle se fût produite à jours et heures fixes à son commandement devant le public, comme des tours de prestidigitation.

Rien, il est vrai, n'atteste d'une manière ostensible l'intervention des Esprits dans cette circonstance, car il n'y a pas d'effets intelligents, si ce n'est l'impuissance où est la jeune fille d'agir à sa volonté. La faculté, comme dans tous les effets médianimiques, est inhérente à elle ; l'exercice de la faculté peut dépendre d'une volonté étrangère. Mais en admettant même que les Esprits n'y soient pour rien, ce n'en est pas moins un phénomène destiné à appeler l'attention sur les forces fluidiques qui régissent notre organisme, et que tant de gens s'obstinent à nier.

Si cette force était ici purement électrique, elle dénoterait toutefois une importante modification dans l'électricité, puisqu'elle agit sur le bois à l'exclusion des métaux. Cela seul vaudrait bien la peine d'être étudié.

Revue de la Presse par rapport au Spiritisme


Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, les idées spirites sont dans l'air ; elles se font jour de mille manières sous la forme de romans ou sous celle de pensées philosophiques, et la presse les accueille pourvu que le mot Spiritisme ne soit pas prononcé. Nous ne suffirions pas à citer toutes les pensées qu'elle enregistre chaque jour, faisant ainsi du Spiritisme sans le savoir. Qu'importe le nom, si la chose y est ! Un jour, ces messieurs seront tout étonnés d'avoir fait du Spiritisme, comme M. Jourdain le fut d'avoir parlé en prose. Beaucoup de gens côtoient le Spiritisme sans s'en douter ; ils sont sur la lisière, alors qu'ils s'en croient bien loin. A l'exception des matérialistes purs qui sont certainement en minorité, on peut dire que les idées de la philosophie spirite courent le monde ; ce que beaucoup repoussent encore, ce sont les manifestations médianimiques, les uns par système, d'autres, parce qu'ayant mal observé, ils ont éprouvé des déceptions ; mais comme les manifestations sont des faits, il faudra bien, tôt ou tard, les accepter. Ils se défendent d'être Spirites, uniquement par l'idée fausse qu'ils attachent à ce mot. Que ceux qui n'y arrivent pas par la porte directe y arrivent par une porte détournée, le résultat est le même ; aujourd'hui l'impulsion est donnée, et le mouvement ne saurait s'arrêter.

D'un autre côté, ainsi que cela est annoncé, une multitude de phénomènes se produisent, qui paraissent s'écarter des lois connues et déroutent la science dans laquelle on en cherche vainement l'explication ; les passer sous silence quand ils ont une certaine notoriété, serait chose difficile ; or ces phénomènes, qui se présentent sous les aspects les plus variés, à force de se multiplier, finissent par éveiller l'attention et peu à peu familiarisent avec l'idée d'une puissance spirituelle en dehors des forces matérielles. C'est toujours un moyen d'arriver au but ; les Esprits frappent de tous les côtés et de mille manières différentes, de sorte que les coups portent toujours sur les uns ou sur les autres.

Parmi les pensées spirites que nous trouvons dans divers journaux, nous citerons les suivantes :

Dans le discours prononcé, le 11 novembre dernier, par M. d'Eichthal, l'un des rédacteurs du Temps, sur la tombe de M. Charles Duveyrier, l'orateur s'exprime ainsi :

« Duveyrier est mort dans un calme profond, plein de confiance en Dieu, de foi dans l'éternité de la vie, fier de ses longues années consacrées à l'élaboration et au développement d'une croyance qui doit racheter tous les hommes de la misère, du désordre et de l'ignorance, certain d'avoir payé sa dette, d'avoir rendu à la génération qui le suit plus qu'il n'avait reçu de celle qui l'avait précédé ; il s'est arrêté comme un vaillant ouvrier, sa tâche achevée, laissant à d'autres le soin de la poursuivre.

« Si sa dépouille mortelle n'a point traversé les temples consacrés pour arriver au champ de repos, ce n'est pas par un injuste dédain envers d'immortelles croyances, mais c'est qu'aucune des formules qui auraient été prononcées sur sa dépouille n'aurait rendu l'idée qu'il se faisait de la vie future. Duveyrier ne désirait pas, ne croyait pas aller dans le ciel, jouir sans fin d'une béatitude personnelle, pendant que la majorité des hommes resterait condamnée à des souffrances sans espoir ; plein de Dieu et vivant en Dieu, mais lié à l'humanité, c'est au sein de l'humanité qu'il espérait revivre pour concourir éternellement à cette œuvre de progrès qui la rapproche incessamment de l'idéal divin. » ‑ (Le Temps, 14 nov. 1866.)

M Duveyrier avait fait partie de la secte saint-simonienne ; c'est la croyance dont il est parlé ci-dessus, et au développement de laquelle il avait consacré plusieurs années de sa vie ; mais ses idées sur l'avenir de l'âme se rapprochaient beaucoup, comme on le voit, de celles qu'enseigne la doctrine spirite. Il ne faudrait pas inférer cependant de ces paroles : « C'est au sein de l'humanité qu'il espérait revivre, » qu'il crût à la réincarnation ; il n'avait, sur ce point, aucune idée arrêtée ; il entendait par là que l'âme, au lieu de se perdre dans l'infini, ou de s'absorber dans une béatitude inutile, restait dans la sphère de l'humanité, au progrès de laquelle elle concourait par son influence. Mais cette idée est précisément aussi ce qu'enseigne le Spiritisme ; c'est celle du monde invisible qui nous environne ; les âmes vivent au milieu de nous, comme nous vivons au milieu d'elles. M. Duveyrier était donc, à l'encontre de la plupart de ses confrères de la presse, non-seulement profondément spiritualiste, mais aux trois quarts spirite ; que lui manquait-il pour l'être complètement ? Probablement d'avoir su ce que c'était que le Spiritisme, car il en possédait les bases fondamentales : la croyance en Dieu, en l'individualité de l'âme, sa survivance et son immortalité ; en sa présence au milieu des hommes après la mort, et son action sur eux. Que dit de plus le Spiritisme ? Que ces mêmes âmes révèlent leur présence par une action directe, et que nous sommes incessamment en communion avec elles ; il vient prouver par des faits ce qui n'était chez M. Duveyrier et chez beaucoup d'autres, qu'à l'état de théorie et d'hypothèse.

On conçoit que ceux qui ne croient qu'à la matière tangible repoussent tout, mais il est plus surprenant de voir des spiritualistes rejeter la preuve de ce qui fait le fond de leur croyance. Celui qui retraçait ainsi les pensées de M. Duveyrier sur l'avenir de l'âme, M. d'Eichthal, son ami et son coreligionnaire en saint-simonisme, qui, probablement, partageait jusqu'à un certain point ses opinions, n'en est pas moins un adversaire déclaré du Spiritisme ; il ne se doutait guère que ce qu'il disait à la louange de M. Duveyrier était tout simplement une profession de foi spirite.

Les paroles suivantes, de M. Louis Jourdan, du Siècle, à son fils, ont été reproduites par le Petit Journal du 3 septembre 1866.

« Je te sens vivant, d'une vie supérieure à la mienne, mon Prosper, et quand sonnera ma dernière heure, je me consolerai de quitter ceux que nous avons aimés ensemble, en pensant que je vais te retrouver et te rejoindre. Je sais que cette consolation ne me viendra pas sans efforts ; je sais qu'il faudra la conquérir en travaillant courageusement à ma propre amélioration, comme à celle des autres ; je ferai du moins tout ce qu'il sera en mon pouvoir de faire pour mériter la récompense que j'ambitionne : te retrouver. Ton souvenir est le phare qui nous guide et le point d'appui qui nous soutient à travers les ténèbres qui nous enveloppent. Nous apercevons un point lumineux vers lequel nous marchons résolument ; ce point est celui où tu vis, mon fils, auprès de tous ceux que j'ai aimés ici-bas et qui sont partis avant moi pour leur vie nouvelle. »

Quoi de plus profondément spirite que ces douces et touchantes paroles ! M. Louis Jourdan est encore plus près du Spiritisme que M. Duveyrier, car depuis longtemps il croit à la pluralité des existences terrestres, ainsi qu'on a pu le voir par la citation que nous avons faite dans la Revue de décembre 1862, page 374. Il accepte la philosophie spirite, mais non le fait des manifestations, qu'il ne repousse pas absolument, mais sur lequel il n'est pas suffisamment éclairé. C'est cependant un phénomène assez grave, quant à ses conséquences, puisque seul il peut expliquer tant de choses incomprises qui se passent sous nos yeux, pour mériter d'être approfondi par un observateur tel que lui ; car si les rapports entre le monde visible et le monde invisible existent, c'est toute une révolution dans les idées, dans les croyances, dans la philosophie ; c'est la lumière jetée sur une foule de questions obscures ; c'est l'anéantissement du matérialisme ; c'est enfin la sanction de ses plus chères espérances à l'égard de son fils. Quels éléments les hommes qui se font les champions des idées progressives et émancipatrices puiseraient dans la doctrine s'ils savaient tout ce qu'elle renferme pour l'avenir ! Il en surgira, ce n'est pas douteux, qui comprendront la puissance de ce levier et sauront la mettre à profit.

L'Evènement du 4 novembre dernier rapportait l'anecdote suivante concernant le célèbre compositeur Glück. Lors de la première représentation d'Iphigénie, le 19 avril 1774, à laquelle assistaient Louis xvi et la reine Marie-Antoinette, celle-ci voulut couronner elle-même son ancien professeur de musique. Après la représentation, Glück, mandé dans la loge du roi, fut tellement ému qu'il ne put proférer une parole et eut à peine la force de remercier la reine du regard. En apercevant Marie-Antoinette, qui portait ce soir-là un collier de rubis, Glück se redressa : Grand Dieu ! s'écria-t-il, sauvez la reine ! sauvez la reine ! du sang ! du sang ! – Où ? s'écria-t-on de tous les côtés. ‑ Du sang ! du sang ! au cou ! cria le musicien. – Marie-Antoinette était tremblante. Vite un médecin, dit-elle, mon pauvre Glück devient fou. ‑ Le musicien était tombé dans un fauteuil. Du sang ! du sang ! murmura-t-il… Sauvez l'archiduchesse Marie… sauvez la reine ! ‑ Le malheureux maestro prend votre collier pour du sang, dit le roi à Marie-Antoinette ; il a la fièvre. ‑ La reine porta la main à son cou ; elle arracha le collier, et, saisie de terreur, elle le lança loin d'elle. On emporta Glück sans connaissance.

L'auteur de l'article termine ainsi :

Voilà, cher lecteur, l'histoire que me conta à l'Opéra le musicien allemand, et que j'ai relue le lendemain dans une biographie de l'immortel auteur d'Alceste. Est-elle vraie ? Est-ce de la fantaisie ? Je l'ignore. Mais ne serait-il pas possible que les hommes de génie, dont l'esprit élevé plane au-dessus de l'humanité, eussent, à de certaines heures d'inspiration, cette faculté mystérieuse qu'on appelle la seconde vue ? (Albert Wolff.)

M. Albert Wolff a décoché plus d'une flèche au Spiritisme et aux Spirites, et le voilà qui, de lui-même, admet la possibilité de la seconde vue, et, qui plus est, de la prévision par seconde vue. Il ne se doute probablement pas à quelles conséquences aboutit la reconnaissance d'une telle faculté. Encore un qui côtoie le Spiritisme sans s'en douter, sans peut-être oser se l'avouer, et qui ne lui en jette pas moins la pierre. Si on lui disait qu'il est Spirite, il sauterait d'indignation en s'écriant : Moi ! croire aux frères Davenport ! car pour la plupart de ces messieurs, le spiritisme est tout entier dans le tour des cordes. Nous nous souvenons que l'un d'eux, à qui un correspondant reprochait de parler du Spiritisme sans le connaître, répondit dans son journal : « Vous vous trompez ; j'ai étudié le Spiritisme à l'école des frères Davenport, et la preuve, c'est que cela m'a coûté 15 francs. » Nous croyons avoir cité le fait quelque part dans la Revue. Que peut-on leur demander de plus ? Ils n'en savent pas davantage.

Le Siècle du 27 août 1866 citait les paroles suivantes de madame George Sand, à propos de la mort de M. Ferdinand Pajot :

« La mort de M. Ferdinand Pajot est un fait des plus douloureux et des plus regrettables. Ce jeune homme, doué d'une beauté remarquable et appartenant à une excellente famille, était en outre un homme de cœur et d'idées généreuses. Nous avons été à même de l'apprécier chaque fois que nous avons invoqué sa charité pour les pauvres de notre entourage. Il donnait largement, plus largement peut-être que ses ressources ne l'autorisaient à le faire, et il donnait avec spontanéité, avec confiance, avec joie. Il était sincère, indépendant, bon comme un ange. Marié depuis peu de temps à une charmante jeune femme, il sera regretté comme il le mérite. Je tiens à lui donner, après cette cruelle mort, une tendre et maternelle bénédiction : illusion si l'on veut, mais je crois que nous entrons mieux dans la vie qui suit celle-ci quand nous y arrivons escortés de l'estime et de l'affection de ceux que nous venons de quitter. »

Madame Sand est plus explicite encore dans son livre de Mademoiselle de la Quintinie. On lit, page 318 : « Monsieur l'abbé, quand vous voudrez que nous fassions un pas vers votre église, commencez par nous faire voir un concile assemblé décrétant de mensonge et de blasphème l'enfer des peines éternelles, et vous aurez le droit de nous crier : « Venez à nous, vous tous qui voulez connaître Dieu. »

Page 320 : « Demander à Dieu d'éteindre nos sens, d'endurcir notre cœur, de nous rendre haïssables les liens les plus sacrés, c'est lui demander de renier et de détruire son œuvre, de revenir sur ses pas en nous faisant revenir nous-mêmes, en nous faisant rétrograder vers les existences inférieures, au-dessous de l'animal, au-dessous de la plante, peut-être au-dessous du minéral. »

Page 323 : « Quel que soit cependant votre sort parmi nous, vous verrez clair un jour au-delà de la tombe, et, comme je ne crois pas plus aux châtiments sans fin qu'aux épreuves sans fruit, je vous annonce que nous nous retrouverons quelque part où nous nous entendrons mieux, et où nous nous aimerons au lieu de nous combattre ; mais, pas plus que vous, je ne crois à l'impunité du mal et à l'efficacité de l'erreur. Je crois donc que vous expierez l'endurcissent de votre cœur par de grands déchirements de cœur dans quelque autre existence. »

A côté de ces pensées éminemment spirites, auxquelles il ne manque que le nom qu'on s'obstine à leur refuser, on en trouve encore parfois d'autres, un peu moins sérieuses, qui rappellent le beau temps des railleries plus ou moins spirituelles sous lesquelles on pensait étouffer le Spiritisme. On en peut juger par les échantillons suivants, qui sont comme les fusées perdues du feu d'artifice.

M. Ponson de Terrail, dans son Dernier mot de Rocambole, publié en en feuilleton dans le Figaro, s'exprime ainsi :

« Cependant les Anglais en remontreraient aux Américains en matière de superstitions. Les tables tournantes, avant de faire chez nous le bonheur de cent mille imbéciles, ont passé plusieurs saisons à Londres et y ont reçu une hospitalité des plus courtoises. Petit à petit le récit du fossoyeur avait fait le tour de Hampstead, ville célèbre par ses ânes et ses âniers, et les gros bonnets de l'endroit n'avaient pas hésité un seul instant à décider que le cottage était, la nuit, hanté par des Esprits. »

M. Ponson du Terrail, qui octroie si généreusement un brevet d'imbécillité à cent mille individus, croit naturellement avoir plus d'esprit qu'eux, mais il ne croit pas avoir un Esprit en lui, sans cela il est probable qu'il ne l'enverrait pas au pays des ânes.

Mais quel rapport, dira-t-il sans doute, peut-il y avoir entre des tables tournantes et les sublimes pensées que vous avez citées tout à l'heure ? Il y a, répondrons-nous, le même rapport qui existe entre votre corps quand il valse et votre esprit qui le fait valser ; entre la grenouille qui dansait dans le plat de Galvani, et le télégraphe transatlantique ; entre la pomme qui tombe et la loi de gravitation qui régit le monde. Si Galvani et Newton n'eussent pas médité sur ces phénomènes si simples et si vulgaires, nous n'aurions pas aujourd'hui tout ce que l'industrie, les arts et les sciences en ont tiré. Si cent mille imbéciles n'eussent pas cherché la cause qui fait tourner les tables, nous ignorerions encore aujourd'hui l'existence et la nature du monde invisible qui nous entoure ; nous ne saurions d'où nous venons avant de naître, et où nous allons en mourant. Parmi ces cent mille imbéciles, beaucoup croiraient peut-être encore aux démons cornus, aux flammes éternelles, à la magie, aux sorciers et aux sortilèges. Les tables tournantes sont aux pensées sublimes sur l'avenir de l'âme ce que le germe est à l'arbre qui en est sorti : ce sont les rudiments de la science de l'homme.

On lisait dans l'Echo d'Oran du 24 avril 1866 :

« Il vient de se passer à El-Afroun un fait qui a péniblement affecté notre population. Un des plus anciens habitants de notre village, M. Pagès, vient de mourir. Vous savez qu'il était imbu des idées, ‑ j'allais dire des folies, ‑ de M. Allan Kardec et qu'il faisait profession de Spiritisme. En dehors de cette lubie, c'était un parfait honnête homme, estimé de tous ceux qui le connaissaient. Aussi, on a été très étonné d'apprendre que M. le curé ait refusé de l'enterrer, sous prétexte que le Spiritisme est contraire au christianisme. N'y a-t-il pas dans l'Evangile : « Rendez le bien pour le mal, » et si ce pauvre M. Pagès est coupable d'avoir cru au Spiritisme, n'était-ce pas une raison de plus pour prier pour lui ! »

M. Pagès, que nous connaissions par correspondance depuis longtemps, nous écrivait ceci :

« Le Spiritisme a fait de moi un tout autre homme ; avant de le connaître, j'étais comme bien d'autres ; je ne croyais à rien, et cependant je souffrais à la pensée qu'en mourant tout est fini pour nous. J'en éprouvais parfois un profond découragement, et je me demandais à quoi sert de faire le bien. Le Spiritisme m'a fait l'effet d'un rideau qui se lève pour nous montrer une décoration magnifique. Aujourd'hui je vois clair ; l'avenir n'est plus douteux, et j'en suis bien heureux ; vous dire le bonheur que j'en éprouve m'est impossible ; il me semble que je suis comme un condamné à mort à qui on vient dire qu'il ne mourra pas, et qu'il va quitter sa prison pour aller dans un beau pays vivre en liberté. N'est-ce pas, cher monsieur, que c'est l'effet que cela doit faire ? Le courage m'est revenu avec la certitude de vivre toujours, parce que j'ai compris que ce que nous en acquérons en bien n'est pas en pure perte ; j'ai compris l'utilité de faire le bien ; j'ai compris la fraternité et la solidarité qui relient tous les hommes. Sous l'empire de cette pensée, je me suis efforcé de m'améliorer. Oui, je puis vous le dire sans vanité, je me suis corrigé de bien des défauts, quoiqu'il m'en reste encore beaucoup. Je sens maintenant que je mourrai tranquille, parce que je sais que je ne ferai que changer un mauvais habit qui me gêne, contre un neuf dans lequel je serai plus à mon aise. »

Voilà donc un homme qui, aux yeux de certaines personnes, était raisonnable, sensé quand il ne croyait à rien, et qui est taxé de folie sur le seul fait d'avoir cru à l'immortalité de son âme par le Spiritisme ; et ce sont ces mêmes personnes, qui ne croient ni à l'âme ni à la prière, qui lui ont jeté la pierre pour ses croyances, de son vivant, et le poursuivent de leurs sarcasmes jusqu'après sa mort, qui invoquent l'Evangile contre l'acte d'intolérance et le refus de prières dont il a été l'objet, lui qui n'a cru à l'Evangile et à la prière que par le Spiritisme !

Saint Augustin accusé de crétinisme


Sous le titre de Crétinisme, la Vedette du Limbourg, journal de Tongres, en Belgique, du 1er septembre 1866, contient l'article suivant, reproduit d'après la Gazette de Huy :

« Un livre, donné en prix dans un pensionnat de religieuses, nous est tombé sous la main. Nous l'avons ouvert, et le hasard nous a fait lire, entre autres curieux passages, le suivant, bien digne, nous paraît-il, d'être mis sous les yeux du lecteur. Il y est question du rôle joué par les anges. Quiconque le parcourra ne manquera certainement pas de se demander comment il est possible qu'un ouvrage renfermant de pareilles absurdités puisse trouver un éditeur ! A notre avis, celui qui imprime de semblables âneries est aussi coupable que celui qui les écrit. Oui, nous ne craignons pas de l'affirmer, auteur et imprimeur doivent être passés maîtres en crétinisme pour oser lancer de pareils défis à la raison, à la science, que disons-nous ! au plus vulgaire bon sens. Voici le passage dont il s'agit :

« Selon saint Augustin, le monde visible est gouverné par des créatures invisibles, par de purs Esprits, et même il y a des anges qui président à chaque chose visible, à toutes les espèces de créatures qui sont dans le monde, soit qu'elles soient animées, soit qu'elles soient inanimées.

Les cieux et les astres ont leurs anges moteurs ; les eaux ont un ange particulier, comme il est rapporté en l'Apocalypse ; l'air a ses anges qui gouvernent les vents, comme il se voit dans le même livre, qui nous apprend de plus que l'élément du feu a aussi les siens. Les royaumes ont leurs anges ; les provinces en ont aussi qui les gardent, comme on le remarque dans la Genèse, car les anges qui apparurent à Jacob étaient les gardiens des provinces par où il passait, etc. »

On peut juger par cet échantillon du genre de lecture que fait la jeunesse élevée dans les couvents. Est-il possible de concevoir, ‑ on nous passera l'expression, ‑ quelque chose de plus profondément stupide ?

Pour combler la mesure, l'éditeur fait précéder l'ouvrage d'un avertissement où l'on peut lire ces lignes : « Dans son livre, qui ne convient pas moins aux ecclésiastiques qu'aux laïques, l'auteur déploie une force de raison et de style qui éclaire et assujettit l'esprit ; de sa plume découle une onction qui pénètre et gagne le cœur. C'est l'œuvre d'un homme profondément versé dans la spiritualité. »

Nous disons, nous : c'est l'œuvre d'un homme devenu fou d'ascétisme, bien plus à plaindre qu'à blâmer. »

Jusqu'à présent saint Augustin a été respecté de ceux mêmes qui ne partagent pas ses croyances. Malgré des erreurs manifestes qui tenaient à l'état des connaissances scientifiques de son temps, il est universellement considéré comme un des génies, une des gloires de l'humanité, et voilà que d'un trait de plume, un obscur écrivain, un de ces jeunes hommes qui se croient la lumière du monde, jette la boue sur cette renommée séculaire, prononce contre lui, de par sa haute raison, l'accusation de crétinisme, et cela parce que saint Augustin croyait à des créatures invisibles, à de purs Esprits présidant à toutes les choses visibles. A ce compte-là, que de crétins n'y a-t-il pas parmi les littérateurs contemporains les plus estimés ! Nous ne serions pas surpris de voir un jour accuser de crétinisme Chateaubriand, Lamartine, Victor Hugo, George Sand et tant d'autres. Voilà l'école qui aspire à régénérer la société par le matérialisme ; aussi prétend-elle que l'humanité tourne à la démence ; mais on peut être tranquille, son règne, si jamais il arrivait, sera de courte durée. Elle sent bien sa faiblesse contre l'opinion générale qui la repousse, c'est pourquoi elle s'agite avec une sorte de frénésie.

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