REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1868

Allan Kardec

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LETTRE TROISIÈME

Très vénérée Impératrice,

Le sort extérieur de chaque âme dépouillée de son corps répondra à son état intérieur, c'est-à-dire que tout lui apparaîtra tel qu'elle est elle-même. A la bonne, tout paraîtra dans le bien ; le mal n'apparaîtra qu'aux âmes des méchants. Des natures aimantes entoureront l'âme aimante ; l'âme haineuse attirera vers elle des natures haineuses. Chaque âme se verra elle-même réfléchie dans les Esprits qui lui ressemblent. Le bon deviendra meilleur et sera admis dans les cercles composés d'êtres qui lui sont supérieurs ; le saint deviendra plus saint par la seule contemplation des Esprits plus purs et plus saints que lui ; l'Esprit aimant deviendra plus aimant encore ; mais aussi chaque être méchant deviendra pire par son seul contact avec d'autres êtres méchants. Si déjà sur la terre rien n'est plus contagieux et plus entraînant que la vertu et le vice, l'amour et la haine, de même, au delà du tombeau, toute perfection morale et religieuse, ainsi que tout sentiment immoral et irréligieux, doivent nécessairement devenir encore plus entraînants et plus contagieux.

Vous, très honorée Impératrice, vous deviendrez tout amour dans le cercle d'âmes bienveillantes.

Ce qui restera encore en moi d'égoïsme, d'amour-propre, de tiédeur pour le royaume et les desseins de Dieu, sera entièrement englouti par le sentiment d'amour, s'il a été prédominant en moi, et il s'épurera encore sans cesse par la présence et le contact des Esprits purs et aimants.

Epurés par la puissance de notre aptitude à aimer, largement exercée ici-bas ; purifiés encore davantage par le contact et le rayonnement sur nous de l'amour des Esprits purs et élevés, nous serons graduellement préparés à la vue directe de l'amour le plus parfait pour qu'il ne puisse pas nous éblouir, nous effrayer, et nous empêcher d'en jouir avec délices.

Mais comment, très vénérée Impératrice, un faible mortel pourrait-il, oserait-il se faire une idée de la contemplation de cet amour personnifié ? Et toi, charité inépuisable ! comment pourrais-tu approcher de celui qui puise en toi seul l'amour, sans l'effrayer et sans l'éblouir ?

Je pense qu'au commencement, il apparaîtra invisiblement ou sous une forme méconnaissable.

N'a-t-il pas toujours agi de cette manière ? Qui a aimé plus invisiblement que Jésus ? Qui, mieux que lui, savait représenter l'individualité incompréhensible de l'inconnu ? Qui a su mieux que lui se rendre méconnaissable, lui qui pouvait se faire connaître mieux qu'aucun mortel ou tout Esprit immortel ? Lui, qu'adorent tous les cieux, il vint sous la forme d'un modeste ouvrier et conserva jusqu'à la mort l'individualité d'un Nazaréen. Même après sa résurrection, il apparut d'abord sous une forme méconnaissable et ne se fit reconnaître qu'après. Je pense qu'il conservera toujours ce mode d'action, si analogue à sa nature, à sa sagesse et son amour. C'est sous la forme d'un jardinier qu'il apparut à Marie au jardin où elle le cherchait et où elle désespérait déjà de le trouver. D'abord méconnaissable, il ne fut reconnu que quelques instants après.

Ce fut aussi sous une forme méconnaissable qu'il s'approcha de deux de ses disciples, qui marchaient remplis de lui et aspiraient vers lui. Il marcha longtemps à côté d'eux ; leurs cœurs brûlaient d'une sainte flamme ; ils sentaient la présence de quelque être pur et élevé, mais plutôt d'un autre que lui ; ils ne le reconnurent qu'au moment du partage du pain, au moment de sa disparition et quand, le même soir encore, ils le virent à Jérusalem. La même chose eut lieu aux bords du lac de Tibériade, et quand, rayonnant dans sa gloire éblouissante, il apparut à Saul.

Comme toutes les actions de notre Seigneur, toutes ses paroles et toutes ses révélations sont sublimes et dramatiques !

Tout suit une marche incessante qui, poussant toujours en avant, s'approche de plus en plus d'un but qui, pourtant, n'est pas le but final. Christ est le héros, le centre, le personnage principal, tantôt visible, tantôt invisible, dans ce grand drame de Dieu, si admirablement simple et compliqué en même temps, qui n'aura jamais de fin, quoique ayant paru mille fois fini.

Il paraît toujours, d'abord méconnaissable, dans l'existence de chacun de ses adorateurs. Comment l'amour pourrait-il se refuser d'apparaître à l'être qui l'aime, juste au moment où celui-ci a le plus grand besoin de lui ?

Oui, toi, le plus humain des hommes, tu apparaîtras aux hommes de la manière la plus humaine ! Tu apparaîtras à l'âme aimante à laquelle j'écris ! tu m'apparaîtras aussi, d'abord méconnaissable, et puis tu te feras connaître à nous. Nous te verrons une infinité de fois, toujours autre et toujours le même, toujours plus beau à mesure que notre âme s'améliorera, et jamais pour la dernière fois.

Élevons-nous plus souvent vers cette idée enivrante que je tâcherai, avec la permission de Dieu, d'éclairer plus amplement dans ma prochaine lettre, et de vous rendre plus saisissante par une communication donnée par un défunt.

I. IX. 1798.

Lavater.

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