L’ÉVANGILE SELON LE SPIRITISME

Allan Kardec

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CHAPITRE XIII
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QUE VOTRE MAIN GAUCHE NE SACHE PAS CE QUE DONNE VOTRE MAIN DROITE


Faire le bien sans ostentation. - Les infortunes cachées. - Denier de la veuve. - Convier les pauvres et les estropiés. Obliger sans espoir de retour. - Instructions des Esprits : La charité matérielle et la charité morale. - La bienfaisance. - La pitié. - Les orphelins. - Bienfaits payés par l'ingratitude. - Bienfaisance exclusive.



Faire le bien sans ostentation



1. Prenez garde de ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les hommes pour en être regardés, autrement vous n'en recevrez point la récompense de votre Père qui est dans les cieux. - Lors donc que vous donnerez l'aumône, ne faites point sonner la trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues pour être honorés des hommes. Je vous dis, en vérité, ils ont reçu leur récompense. - Mais lorsque vous faites l'aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait votre main droite ; - afin que l'aumône soit dans le secret ; et votre Père, qui voit ce qui se passe dans le secret, vous en rendra la récompense. (Saint Matthieu, ch. VI, v. de 1 à 4.)

2. Jésus étant descendu de la montagne, une grande foule de peuple le suivit ; - et en même temps un lépreux vint à lui et l'adora en lui disant : Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. - Jésus étendant la main, le toucha et lui dit : Je le veux, soyez guéri ; et à l'instant la lèpre fut guérie. - Alors Jésus lui dit : Gardez-vous bien de parler de ceci à personne ; mais allez vous montrer aux prêtres, et offrez le don prescrit par Moïse, afin que cela leur serve de témoignage. (Saint Matthieu, ch. VIII, v. de 1 à 4.)

3. Faire le bien sans ostentation est un grand mérite ; cacher la main qui donne est encore plus méritoire ; c'est le signe incontestable d'une grande supériorité morale : car pour voir les choses de plus haut que le vulgaire, il faut faire abstraction de la vie présente et s'identifier avec la vie future ; il faut, en un mot, se placer au-dessus de l'humanité pour renoncer à la satisfaction que procure le témoignage des hommes et attendre l'approbation de Dieu. Celui qui prise le suffrage des hommes plus que celui de Dieu, prouve qu'il a plus de foi dans les hommes qu'en Dieu, et que la vie présente est plus pour lui que la vie future, ou même qu'il ne croit pas à la vie future ; s'il dit le contraire, il agit comme s'il ne croyait pas à ce qu'il dit.

Combien y en a-t-il qui n'obligent qu'avec l'espoir que l'obligé ira crier le bienfait sur les toits ; qui, au grand jour, donneront une grosse somme, et dans l'ombre ne donneraient pas une pièce de monnaie ! C'est pourquoi Jésus a dit : «Ceux qui font le bien avec ostentation ont déjà reçu leur récompense ;» en effet, celui qui cherche sa glorification sur la terre par le bien qu'il fait, s'est déjà payé lui-même ; Dieu ne lui doit plus rien ; il ne lui reste à recevoir que la punition de son orgueil.

Que la main gauche ne sache pas ce que donne la main droite, est une figure qui caractérise admirablement la bienfaisance modeste ; mais s'il y a la modestie réelle, il y a aussi la modestie jouée, le simulacre de la modestie ; il y a des gens qui cachent la main qui donne, en ayant soin d'en laisser passer un bout, regardant si quelqu'un ne la leur voit pas cacher. Indigne parodie des maximes du Christ ! Si les bienfaiteurs orgueilleux sont dépréciés parmi les hommes, que sera-ce donc auprès de Dieu ! Ceux-là aussi ont reçu leur récompense sur la terre. On les a vus ; ils sont satisfaits d'avoir été vus : c'est tout ce qu'ils auront.

Quelle sera donc la récompense de celui qui fait peser ses bienfaits sur l'obligé, qui lui impose en quelque sorte des témoignages de reconnaissance, lui fait sentir sa position en exaltant le prix des sacrifices qu'il s'impose pour lui ? Oh ! pour celui-là, il n'a pas même la récompense terrestre, car il est privé de la douce satisfaction d'entendre bénir son nom, et c'est là un premier châtiment de son orgueil ; les larmes qu'il tarit au profit de sa vanité, au lieu de monter au ciel, sont retombées sur le coeur de l'affligé et l'ont ulcéré. Le bien qu'il fait est sans profit pour lui, puisqu'il le reproche, car tout bienfait reproché est une monnaie altérée et sans valeur.

L'obligeance sans ostentation a un double mérite ; outre la charité matérielle, c'est la charité morale ; elle ménage la susceptibilité de l'obligé ; elle lui fait accepter le bienfait sans que son amour-propre en souffre, et en sauvegardant sa dignité d'homme, car tel acceptera un service qui ne recevrait pas l'aumône ; or, convertir le service en aumône par la manière dont on le rend, c'est humilier celui qui le reçoit, et il y a toujours orgueil et méchanceté à humilier quelqu'un. La vraie charité, au contraire, est délicate et ingénieuse à dissimuler le bienfait, à éviter jusqu'aux moindres apparences blessantes, car tout froissement moral ajoute à la souffrance qui naît du besoin ; elle sait trouver des paroles douces et affables qui mettent l'obligé à son aise en face du bienfaiteur, tandis que la charité orgueilleuse l'écrase. Le sublime de la vraie générosité, c'est lorsque le bienfaiteur, changeant de rôle, trouve le moyen de paraître lui-même l'obligé vis-à-vis de celui à qui il rend service. Voilà ce que veulent dire ces paroles : Que la main gauche ne sache pas ce que donne la main droite.


Les infortunes cachées


4. Dans les grandes calamités, la charité s'émeut, et l'on voit de généreux élans pour réparer les désastres ; mais, à côté de ces désastres généraux, il y a des milliers de désastres particuliers qui passent inaperçus, des gens qui gisent sur un grabat sans se plaindre. Ce sont ces infortunes discrètes et cachées que la vraie générosité sait aller découvrir sans attendre qu'elles viennent demander assistance.

Quelle est cette femme à l'air distingué, à la mise simple quoique soignée, suivie d'une jeune fille vêtue aussi modestement ? Elle entre dans une maison de sordide apparence où elle est connue sans doute, car à la porte on la salue avec respect. Où va-t-elle ? Elle monte jusqu'à la mansarde : là gît une mère de famille entourée de petits enfants ; à son arrivée la joie brille sur ces visages amaigris ; c'est qu'elle vient calmer toutes ces douleurs ; elle apporte le nécessaire assaisonné de douces et consolantes paroles qui font accepter le bienfait sans rougir, car ces infortunés ne sont point des mendiants de profession ; le père est à l'hôpital, et pendant ce temps la mère ne peut suffire aux besoins. Grâce à elle, ces pauvres enfants n'endureront ni le froid ni la faim ; ils iront à l'école chaudement vêtus, et le sein de la mère ne tarira pas pour les plus petits. S'il en est un de malade parmi eux, aucun soin matériel ne lui répugnera. De là elle se rend à l'hospice pour porter au père quelques douceurs et le tranquilliser sur le sort de sa famille. Au coin de la rue, l'attend une voiture, véritable magasin de tout ce qu'elle porte à ses protégés qu'elle visite ainsi successivement ; elle ne leur demande ni leur croyance, ni leur opinion, car pour elle tous les hommes sont frères et enfants de Dieu. Sa tournée finie, elle se dit : J'ai bien commencé ma journée. Quel est son nom ? où demeure-t-elle ? Nul ne le sait ; pour les malheureux, c'est un nom qui ne trahit rien ; mais c'est l'ange de consolation ; et, le soir, un concert de bénédictions s'élève pour elle vers le Créateur : catholiques, juifs, protestants, tous la bénissent.

Pourquoi cette mise si simple ? C'est qu'elle ne veut pas insulter à la misère par son luxe. Pourquoi se fait-elle accompagner par sa jeune fille ? C'est pour lui apprendre comment on doit pratiquer la bienfaisance. Sa fille aussi veut faire la charité, mais sa mère lui dit : «Que peux-tu donner, mon enfant, puisque tu n'as rien à toi ? Si je te remets quelque chose pour le passer à d'autres, quel mérite auras-tu ? C'est en réalité moi qui ferais la charité et toi qui en aurais le mérite ; ce n'est pas juste. Quand nous allons visiter les malades, tu m'aides à les soigner ; or, donner des soins, c'est donner quelque chose. Cela ne te semble-t-il pas suffisant ? rien n'est plus simple ; apprends à faire des ouvrages utiles, et tu confectionneras des vêtements pour ces petits enfants ; de cette façon tu donneras quelque chose venant de toi.» C'est ainsi que cette mère vraiment chrétienne forme sa fille à la pratique des vertus enseignées par le Christ. Est-elle spirite ? Qu'importe !

Dans son intérieur, c'est la femme du monde, parce que sa position l'exige ; mais on ignore ce qu'elle fait, parce qu'elle ne veut d'autre approbation que celle de Dieu et de sa conscience. Pourtant un jour une circonstance imprévue conduit chez elle une de ses protégées qui lui rapportait de l'ouvrage ; celle-ci la reconnut et voulut bénir sa bienfaitrice. «Chut ! lui dit-elle ; ne le dites à personne.» Ainsi parlait Jésus.


Le denier de la veuve


5. Jésus étant assis vis-à-vis du tronc, considérait de quelle manière le peuple y jetait de l'argent, et que plusieurs gens riches y en mettaient beaucoup. - Il vint aussi une pauvre veuve qui y mit seulement deux petites pièces de la valeur d'un quart de sou. - Alors Jésus ayant appelé ses disciples, leur dit : Je vous dis en vérité, cette pauvre veuve a plus donné que tous ceux qui ont mis dans le tronc ; - car tous les autres ont donné de leur abondance, mais celle-ci a donné de son indigence, même tout ce qu'elle avait et tout ce qui lui restait pour vivre. (Saint Marc, ch. XII, v. de 41 à 44. - Saint Luc, ch. XXI, v. de 1 à 4.)

6. Beaucoup de gens regrettent de ne pouvoir faire autant de bien qu'ils le voudraient, faute de ressources suffisantes, et s'ils désirent la fortune, c'est, disent-ils, pour en faire un bon usage. L'intention est louable, sans doute, et peut être très sincère chez quelques-uns ; mais est-il bien certain qu'elle soit chez tous complètement désintéressée ? N'y en a-t-il pas qui, tout en souhaitant faire du bien aux autres, seraient bien aises de commencer par s'en faire à eux-mêmes, de se donner quelques jouissances de plus, de se procurer un peu du superflu qui leur manque, sauf à donner le reste aux pauvres ? Cette arrière-pensée, qu'ils se dissimulent peut-être, mais qu'ils trouveraient au fond de leur coeur s'ils voulaient y fouiller, annule le mérite de l'intention, car la vraie charité pense aux autres avant de penser à soi. Le sublime de la charité, dans ce cas, serait de chercher dans son propre travail, par l'emploi de ses forces, de son intelligence, de ses talents, les ressources qui manquent pour réaliser ses intentions généreuses ; là serait le sacrifice le plus agréable au Seigneur. Malheureusement la plupart rêvent des moyens plus faciles de s'enrichir tout d'un coup et sans peine, en courant après des chimères, comme les découvertes de trésors, une chance aléatoire favorable, le recouvrement d'héritages inespérés, etc. Que dire de ceux qui espèrent trouver, pour les seconder dans les recherches de cette nature, des auxiliaires parmi les Esprits ? Assurément ils ne connaissent ni ne comprennent le but sacré du spiritisme, et encore moins la mission des Esprits, à qui Dieu permet de se communiquer aux hommes ; aussi en sont-ils punis par les déceptions. (Livre des Médiums, n° 294, 295.)

Ceux dont l'intention est pure de toute idée personnelle doivent se consoler de leur impuissance à faire autant de bien qu'ils le voudraient par la pensée que l'obole du pauvre, qui donne en se privant, pèse plus dans la balance de Dieu que l'or du riche qui donne sans se priver de rien. La satisfaction serait grande sans doute de pouvoir largement secourir l'indigence ; mais si elle est refusée, il faut se soumettre et se borner à faire ce qu'on peut. D'ailleurs, n'est-ce qu'avec l'or qu'on peut tarir les larmes, et faut-il rester inactif parce qu'on n'en possède pas ? Celui qui veut sincèrement se rendre utile à ses frères en trouve mille occasions ; qu'il les cherche, et il les trouvera ; si ce n'est d'une manière, c'est d'une autre, car il n'est personne, ayant la libre jouissance de ses facultés, qui ne puisse rendre un service quelconque, donner une consolation, adoucir une souffrance physique ou morale, faire une démarche utile ; à défaut d'argent, chacun n'a-t-il pas sa peine, son temps, son repos, dont il peut donner une partie ? Là aussi est l'obole du pauvre, le denier de la veuve.


Convier les pauvres et les estropiés


7. Il dit aussi à celui qui l'avait invité : Lorsque vous donnerez à dîner ou à souper, n'y conviez ni vos amis, ni vos frères, ni vos parents, ni vos voisins qui seront riches, de peur qu'ils ne vous invitent ensuite à leur tour, et qu'ainsi ils ne vous rendent ce qu'ils avaient reçu de vous. - Mais lorsque vous faites un festin, conviez-y les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles ; - et vous serez heureux de ce qu'ils n'auront pas le moyen de vous le rendre ; car cela vous sera rendu dans la résurrection des justes.

Un de ceux qui étaient à table, ayant entendu ces paroles, lui dit : Heureux celui qui mangera du pain dans le royaume de Dieu ! (Saint Luc, ch. XIV, v. de 12 à 15.)

8. «Lorsque vous faites un festin, dit Jésus, n'y conviez pas vos amis, mais les pauvres et les estropiés.» Ces paroles, absurdes, si on les prend à la lettre, sont sublimes si l'on en cherche l'esprit. Jésus ne peut avoir voulu dire qu'au lieu de ses amis il faut réunir à sa table les mendiants de la rue ; son langage était presque toujours figuré, et à des hommes incapables de comprendre les nuances délicates de la pensée, il fallait des images fortes, produisant l'effet des couleurs tranchantes. Le fond de sa pensée se révèle dans ces mots : «Vous serez heureux de ce qu'ils n'auront pas le moyen de vous le rendre ;» c'est dire qu'on ne doit point faire le bien en vue d'un retour, mais pour le seul plaisir de le faire. Pour donner une comparaison saisissante, il dit : Conviez à vos festins les pauvres, car vous savez que ceux-là ne pourront rien vous rendre ; et par festins il faut entendre, non les repas proprement dits, mais la participation à l'abondance dont vous jouissez.

Cette parole peut cependant aussi recevoir son application dans un sens plus littéral. Que de gens n'invitent à leur table que ceux qui peuvent, comme ils le disent, leur faire honneur, ou qui peuvent les convier à leur tour ! D'autres, au contraire, trouvent de la satisfaction à recevoir ceux de leurs parents ou amis qui sont moins heureux ; or, qui est-ce qui n'en a pas parmi les siens ? C'est parfois leur rendre un grand service sans en avoir l'air. Ceux-là, sans aller recruter les aveugles et les estropiés, pratiquent la maxime de Jésus, s'ils le font par bienveillance, sans ostentation, et s'ils savent dissimuler le bienfait par une sincère cordialité.


INSTRUCTIONS DES ESPRITS

La charité matérielle et la charité morale


9. «Aimons-nous les uns les autres et faisons à autrui ce que nous voudrions qui nous fût fait.» Toute la religion, toute la morale se trouvent renfermées dans ces deux préceptes ; s'ils étaient suivis ici-bas, vous seriez tous parfaits : plus de haines, plus de dissentiments ; je dirai plus encore : plus de pauvreté, car du superflu de la table de chaque riche, bien des pauvres se nourriraient, et vous ne verriez plus, dans les sombres quartiers que j'ai habités pendant ma dernière incarnation, de pauvres femmes traînant après elles de misérables enfants manquant de tout.

Riches ! pensez un peu à cela ; aidez de votre mieux les malheureux ; donnez, pour que Dieu vous rende un jour le bien que vous aurez fait, pour que vous trouviez, au sortir de votre enveloppe terrestre, un cortège d'Esprits reconnaissants qui vous recevront au seuil d'un monde plus heureux.

Si vous pouviez savoir la joie que j'ai éprouvée en retrouvant là-haut ceux que j'avais pu obliger dans ma dernière vie !...

Aimez donc votre prochain ; aimez-le comme vous-mêmes, car vous le savez maintenant, ce malheureux que vous repoussez est peut-être un frère, un père, un ami que vous rejetez loin de vous ; et alors quel sera votre désespoir en le reconnaissant dans le monde des Esprits !

Je souhaite que vous compreniez bien ce que peut être la charité morale, celle que chacun peut pratiquer ; celle qui ne coûte rien de matériel, et cependant celle qui est plus difficile à mettre en pratique.

La charité morale consiste à se supporter les uns les autres, et c'est ce que vous faites le moins, en ce bas monde où vous êtes incarnés pour le moment. Il y a un grand mérite, croyez-moi, à savoir se taire pour laisser parler un plus sot que soi ; et c'est encore là un genre de charité. Savoir être sourd quand un mot moqueur s'échappe d'une bouche habituée à railler ; ne pas voir le sourire dédaigneux qui accueille votre entrée chez des gens qui, souvent à tort, se croient au-dessus de vous, tandis que, dans la vie spirite, la seule réelle, ils en sont quelquefois bien loin ; voilà un mérite, non pas d'humilité, mais de charité ; car ne pas remarquer les torts d'autrui, c'est la charité morale.

Cependant cette charité ne doit pas empêcher l'autre ; mais pensez surtout à ne pas mépriser votre semblable ; rappelez-vous tout ce que je vous ai déjà dit : Il faut se souvenir sans cesse que, dans le pauvre rebuté, vous repoussez peut-être un Esprit qui vous a été cher, et qui se trouve momentanément dans une position inférieure à la vôtre. J'ai revu un des pauvres de votre terre que j'avais pu, par bonheur, obliger quelquefois, et qu'il m'arrive maintenant d'implorer à mon tour.

Rappelez-vous que Jésus a dit que nous sommes frères, et pensez toujours à cela avant de repousser le lépreux ou le mendiant. Adieu ; pensez à ceux qui souffrent, et priez. (SOEUR ROSALIE. Paris, 1860.)

10. Mes amis, j'ai entendu plusieurs d'entre vous se dire : Comment puis-je faire la charité ? souvent je n'ai pas même le nécessaire !

La charité, mes amis, se fait de bien des manières ; vous pouvez faire la charité en pensées, en paroles et en actions. En pensées : en priant pour les pauvres délaissés qui sont morts sans avoir été à même de voir la lumière ; une prière du coeur les soulage. En paroles : en adressant à vos compagnons de tous les jours quelques bons avis ; dites aux hommes aigris par le désespoir, les privations, et qui blasphèment le nom du Très-Haut : «J'étais comme vous ; je souffrais, j'étais malheureux, mais j'ai cru au Spiritisme, et voyez, je suis heureux maintenant.» Aux vieillards qui vous diront : «C'est inutile ; je suis au bout de ma carrière ; je mourrai comme j'ai vécu.» Dites à ceux-là : «Dieu a pour nous tous une justice égale ; rappelez-vous les ouvriers de la dixième heure.» Aux petits enfants qui, déjà viciés par leur entourage, s'en vont rôder par les chemins, tout prêts à succomber aux mauvaises tentations, dites-leur : «Dieu vous voit, mes chers petits,» et ne craignez pas de leur répéter souvent cette douce parole ; elle finira par prendre germe dans leur jeune intelligence, et au lieu de petits vagabonds, vous aurez fait des hommes. C'est encore là une charité.

Plusieurs d'entre vous disent aussi : «Bah ! nous sommes si nombreux sur la terre, Dieu ne peut pas nous voir tous.» Ecoutez bien ceci, mes amis : Quand vous êtes sur le sommet d'une montagne, est-ce que votre regard n'embrasse pas les milliards de grains de sable qui couvrent cette montagne ? Eh bien ! Dieu vous voit de même ; il vous laisse votre libre arbitre, comme vous laissez ces grains de sable aller au gré du vent qui les disperse ; seulement, Dieu, dans sa miséricorde infinie, a mis au fond de votre coeur une sentinelle vigilante qu'on appelle la conscience. Ecoutez-la ; elle ne vous donnera que de bons conseils. Parfois vous l'engourdissez en lui opposant l'esprit du mal ; elle se tait alors ; mais soyez sûrs que la pauvre délaissée se fera entendre aussitôt que vous lui aurez laissé apercevoir l'ombre du remords. Ecoutez-la, interrogez-la, et souvent vous vous trouverez consolés du conseil que vous en aurez reçu.

Mes amis, à chaque régiment nouveau le général remet un drapeau ; je vous donne, moi, cette maxime du Christ : «Aimez-vous les uns les autres.» Pratiquez cette maxime ; réunissez-vous tous autour de cet étendard, et vous en recevrez le bonheur et la consolation. (UN ESPRIT PROTECTEUR. Lyon, 1860.)


La bienfaisance


11. La bienfaisance, mes amis, vous donnera dans ce monde les plus pures et les plus douces jouissances, les joies du coeur qui ne sont troublées ni par le remords, ni par l'indifférence. Oh ! puissiez-vous comprendre tout ce que renferme de grand et de doux la générosité des belles âmes, ce sentiment qui fait que l'on regarde autrui du même oeil que l'on se regarde soi-même, qu'on se dépouille avec joie pour couvrir son frère. Puissiez-vous, mes amis, n'avoir de plus douce occupation que celle de faire des heureux ! Quelles sont les fêtes du monde que vous puissiez comparer à ces fêtes joyeuses, quand, représentants de la Divinité, vous rendez la joie à ces pauvres familles qui ne connaissent de la vie que les vicissitudes et les amertumes ; quand vous voyez soudain ces visages flétris rayonner d'espérance, car ils n'avaient pas de pain, ces malheureux, et leurs petits enfants, ignorant que vivre c'est souffrir, criaient, pleuraient et répétaient ces paroles qui s'enfonçaient comme un glaive aigu dans le coeur maternel : J'ai faim !... Oh ! comprenez combien sont délicieuses les impressions de celui qui voit renaître la joie là où, un instant auparavant, il ne voyait que désespoir ! Comprenez quelles sont vos obligations envers vos frères ! Allez, allez au devant de l'infortune ; allez au secours des misères cachées surtout, car ce sont les plus douloureuses. Allez, mes bien-aimés, et souvenez-vous de ces paroles du Sauveur : «Quand vous vêtirez un de ces petits, songez que c'est à moi que vous le faites !»

Charité ! mot sublime qui résume toutes les vertus, c'est toi qui dois conduire les peuples au bonheur ; en te pratiquant, ils se créeront des jouissances infinies pour l'avenir, et pendant leur exil sur la terre, tu seras leur consolation, l'avant-goût des joies qu'ils goûteront plus tard quand ils s'embrasseront tous ensemble dans le sein du Dieu d'amour. C'est toi, vertu divine, qui m'as procuré les seuls moments de bonheur que j'aie goûtés sur la terre. Puissent mes frères incarnés croire la voix de l'ami qui leur parle et leur dit : C'est dans la charité que vous devez chercher la paix du coeur, le contentement de l'âme, le remède contre les afflictions de la vie. Oh ! quand vous êtes sur le point d'accuser Dieu, jetez un regard au-dessous de vous ; voyez que de misères à soulager ; que de pauvres enfants sans famille ; que de vieillards qui n'ont pas une main amie pour les secourir et leur fermer les yeux quand la mort les réclame ! Que de bien à faire ! Oh ! ne vous plaignez pas ; mais, au contraire, remerciez Dieu, et prodiguez à pleines mains votre sympathie, votre amour, votre argent à tous ceux qui, déshérités des biens de ce monde, languissent dans la souffrance et dans l'isolement. Vous recueillerez ici-bas des joies bien douces, et plus tard... Dieu seul le sait !... (ADOLPHE, évêque d'Alger. Bordeaux, 1861.)

12. Soyez bons et charitables, c'est la clef des cieux que vous tenez en vos mains ; tout le bonheur éternel est renfermé dans cette maxime : Aimez-vous les uns les autres. L'âme ne peut s'élever dans les régions spirituelles que par le dévouement au prochain ; elle ne trouve de bonheur et de consolation que dans les élans de la charité ; soyez bons, soutenez vos frères, laissez de côté l'affreuse plaie de l'égoïsme ; ce devoir rempli doit vous ouvrir la route du bonheur éternel. Du reste, qui d'entre vous n'a senti son coeur bondir, sa joie intérieure se dilater au récit d'un beau dévouement, d'une oeuvre vraiment charitable ? Si vous ne recherchiez que la volupté que procure une bonne action, vous resteriez toujours dans le chemin du progrès spirituel. Les exemples ne vous manquent pas ; il n'y a que les bonnes volontés qui sont rares. Voyez la foule des hommes de bien dont votre histoire vous rappelle le pieux souvenir.

Le Christ ne vous a-t-il pas dit tout ce qui concerne ces vertus de charité et d'amour ? Pourquoi laisse-t-on de côté ses divins enseignements ? Pourquoi ferme-t-on l'oreille à ses divines paroles, le coeur à toutes ses douces maximes ? Je voudrais qu'on apportât plus d'intérêt, plus de foi aux lectures évangéliques ; on délaisse ce livre, on en fait un mot creux, une lettre close ; on laisse ce code admirable dans l'oubli : vos maux ne proviennent que de l'abandon volontaire que vous faites de ce résumé des lois divines. Lisez donc ces pages toutes brûlantes du dévouement de Jésus, et méditez-les.

Hommes forts, ceignez-vous ; hommes faibles, faites-vous des armes de votre douceur, de votre foi ; ayez plus de persuasion, plus de constance dans la propagation de votre nouvelle doctrine ; ce n'est qu'un encouragement que nous sommes venus vous donner, ce n'est que pour stimuler votre zèle et vos vertus que Dieu nous permet de nous manifester à vous ; mais si on voulait, on n'aurait besoin que de l'aide de Dieu et de sa propre volonté : les manifestations spirites ne sont faites que pour les yeux fermés et les coeurs indociles.

La charité est la vertu fondamentale qui doit soutenir tout l'édifice des vertus terrestres ; sans elle les autres n'existent pas. Sans la charité point d'espoir dans un sort meilleur, pas d'intérêt moral qui nous guide ; sans la charité point de foi, car la foi n'est qu'un pur rayon qui fait briller une âme charitable.

La charité est l'ancre éternelle du salut dans tous les globes : c'est la plus pure émanation du Créateur lui-même ; c'est sa propre vertu qu'il donne à la créature. Comment voudrait-on méconnaître cette suprême bonté ? Quel serait, avec cette pensée, le coeur assez pervers pour refouler et chasser ce sentiment tout divin ? Quel serait l'enfant assez méchant pour se mutiner contre cette douce caresse : la charité ?

Je n'ose pas parler de ce que j'ai fait, car les Esprits ont aussi la pudeur de leurs oeuvres ; mais je crois celle que j'ai commencée une de celles qui doivent le plus contribuer au soulagement de vos semblables. Je vois souvent les Esprits demander pour mission de continuer ma tâche ; je les vois, mes douces et chères soeurs, dans leur pieux et divin ministère ; je les vois pratiquer la vertu que je vous recommande, avec toute la joie que procure cette existence de dévouement et de sacrifices ; c'est un grand bonheur pour moi de voir combien leur caractère est honoré, combien leur mission est aimée et doucement protégée. Hommes de bien, de bonne et forte volonté, unissez-vous pour continuer grandement l'oeuvre de propagation de la charité ; vous trouverez la récompense de cette vertu par son exercice même ; il n'est pas de joie spirituelle qu'elle ne donne dès la vie présente. Soyez unis ; aimez-vous les uns les autres selon les préceptes du Christ. Ainsi soit-il. (SAINT VINCENT DE PAUL. Paris, 1858.)

13. Je me nomme la charité, je suis la route principale qui conduit vers Dieu ; suivez-moi, car je suis le but où vous devez tous viser.

J'ai fait ce matin ma tournée habituelle, et, le coeur navré, je viens vous dire : Oh ! mes amis, que de misères, que de larmes, et combien vous avez à faire pour les sécher toutes ! J'ai vainement cherché à consoler de pauvres mères ; je leur disais à l'oreille : Courage ! il y a de bons coeurs qui veillent sur vous ; on ne vous abandonnera pas ; patience ! Dieu est là ; vous êtes ses aimées, vous êtes ses élues. Elles paraissaient m'entendre et tournaient de mon côté de grands yeux égarés ; je lisais sur leur pauvre visage que leur corps, ce tyran de l'Esprit, avait faim, et que si mes paroles rassérénaient un peu leur coeur, elles ne remplissaient pas leur estomac. Je répétais encore : Courage ! courage ! Alors une pauvre mère, toute jeune, qui allaitait un petit enfant, l'a pris dans ses bras et l'a tendu dans l'espace vide, comme pour me prier de protéger ce pauvre petit être qui ne prenait à un sein stérile qu'une nourriture insuffisante.

Ailleurs, mes amis, j'ai vu de pauvres vieillards sans travaux et bientôt sans asile, en proie à toutes les souffrances du besoin, et, honteux de leur misère, n'osant pas, eux qui n'ont jamais mendié, aller implorer la pitié des passants. Le coeur ému de compassion, moi qui n'ai rien, je me suis faite mendiante pour eux, et je vais de tous côtés stimuler la bienfaisance, souffler de bonnes pensées aux coeurs généreux et compatissants. C'est pourquoi je viens à vous, mes amis, et je vous dis : Là-bas il y a des malheureux dont la huche est sans pain, le foyer sans feu et le lit sans couverture. Je ne vous dis pas ce que vous devez faire ; j'en laisse l'initiative à vos bons coeurs ; si je vous dictais votre ligne de conduite, vous n'auriez plus le mérite de votre bonne action ; je vous dis seulement : Je suis la charité, et je vous tends la main pour vos frères souffrants.

Mais si je demande, je donne aussi et je donne beaucoup ; je vous convie à un grand banquet, et je fournis l'arbre où vous vous rassasierez tous ! Voyez comme il est beau, comme il est chargé de leurs et de fruits ! Allez, allez, cueillez, prenez tous les fruits de ce bel arbre qui s'appelle la bienfaisance. A la place des rameaux que vous aurez pris, j'attacherai toutes les bonnes actions que vous ferez, et je rapporterai cet arbre à Dieu pour qu'il le charge de nouveau, car la bienfaisance est inépuisable. Suivez-moi donc, mes amis, afin que je vous compte parmi ceux qui s'enrôlent sous ma bannière ; soyez sans crainte ; je vous conduirai dans la voie du salut, car je suis la Charité. (CARITA, martyrisée à Rome. Lyon, 1861.)

14. Il y a plusieurs manières de faire la charité que beaucoup d'entre vous confondent avec l'aumône ; il y a pourtant une grande différence. L'aumône, mes amis, est quelquefois utile, car elle soulage les pauvres ; mais elle est presque toujours humiliante et pour celui qui la fait et pour celui qui la reçoit. La charité, au contraire, lie le bienfaiteur et l'obligé, et puis elle se déguise de tant de manières ! On peut être charitable même avec ses proches, avec ses amis, en étant indulgents les uns envers les autres, en se pardonnant ses faiblesses, en ayant soin de ne froisser l'amour-propre de personne ; pour vous, spirites, dans votre manière d'agir envers ceux qui ne pensent pas comme vous ; en amenant les moins clairvoyants à croire, et cela sans les heurter, sans rompre en visière avec leurs convictions, mais en les amenant tout doucement à nos réunions où ils pourront nous entendre, et où nous saurons bien trouver la brèche du coeur par où nous devrons pénétrer. Voilà pour un côté de la charité.

Ecoutez maintenant la charité envers les pauvres, ces déshérités ici-bas, mais ces récompensés de Dieu, s'ils savent accepter leurs misères sans murmurer, et cela dépend de vous. Je vais me faire comprendre par un exemple.

Je vois plusieurs fois dans la semaine une réunion de dames : il y en a de tous les âges ; pour nous, vous le savez, elles sont toutes soeurs. Que font-elles donc ? Elles travaillent vite, vite ; les doigts sont agiles ; aussi voyez comme les visages sont radieux, et comme les coeurs battent à l'unisson ! mais quel est leur but ? c'est qu'elles voient approcher l'hiver qui sera rude pour les pauvres ménages ; les fourmis n'ont pas pu amasser pendant l'été le grain nécessaire à la provision, et la plupart des effets sont engagés ; les pauvres mères s'inquiètent et pleurent en songeant aux petits enfants qui, cet hiver, auront froid et faim ! Mais patience, pauvres femmes ! Dieu en a inspiré de plus fortunées que vous ; elles se sont réunies et vous confectionnent de petits vêtements ; puis un de ces jours, quand la neige aura couvert la terre et que vous murmurerez en disant : «Dieu n'est pas juste,» car c'est votre parole ordinaire à vous qui souffrez ; alors vous verrez apparaître un des enfants de ces bonnes travailleuses qui se sont constituées les ouvrières des pauvres ; oui, c'est pour vous qu'elles travaillaient ainsi, et votre murmure se changera en bénédiction, car dans le coeur des malheureux l'amour suit de bien près la haine.

Comme il faut à toutes ces travailleuses un encouragement, je vois les communications des bons Esprits leur arriver de toutes parts ; les hommes qui font partie de cette société apportent aussi leur concours en faisant une de ces lectures qui plaisent tant ; et nous, pour récompenser le zèle de tous et de chacun en particulier, nous promettons à ces ouvrières laborieuses une bonne clientèle qui les payera, argent comptant, en bénédictions, seule monnaie qui ait cours au ciel, leur assurant en outre, et sans crainte de trop nous avancer, qu'elle ne leur manquera pas. (CARITA. Lyon, 1861.)

15. Mes chers amis, chaque jour j'en entends parmi vous qui disent : «Je suis pauvre, je ne puis pas faire la charité ;» et chaque jour je vous vois manquer d'indulgence pour vos semblables ; vous ne leur pardonnez rien, et vous vous érigez en juges souvent sévères, sans vous demander si vous seriez satisfaits qu'on en fît autant à votre égard. L'indulgence n'est-elle pas aussi de la charité ? Vous qui ne pouvez faire que la charité indulgente, faites-la au moins, mais faites-la grandement. Pour ce qui est de la charité matérielle, je veux vous raconter une histoire de l'autre monde.

Deux hommes venaient de mourir ; Dieu avait dit : Tant que ces deux hommes vivront, on mettra dans un sac chacune de leurs bonnes actions, et à leur mort on pèsera ces sacs. Quand ces deux hommes arrivèrent à leur dernière heure, Dieu se fit apporter les deux sacs ; l'un était gros, grand, bien bourré, il résonnait le métal qui le remplissait ; l'autre était tout petit, et si mince, qu'on voyait à travers les rares sous qu'il contenait ; et chacun de ces hommes reconnut son sac : Voici le mien, dit le premier : je le reconnais ; j'ai été riche et j'ai beaucoup donné. Voilà le mien, dit l'autre ; j'ai toujours été pauvre, hélas ! je n'avais presque rien à partager. Mais, ô surprise ! les deux sacs mis dans la balance, le plus gros devint léger, et le petit s'alourdit, si bien qu'il emporta de beaucoup l'autre côté de la balance. Alors Dieu dit au riche : Tu as beaucoup donné, c'est vrai, mais tu as donné par ostentation, et pour voir ton nom figurer à tous les temples de l'orgueil, et de plus en donnant tu ne t'es privé de rien ; vas à gauche et sois satisfait que l'aumône te soit comptée encore pour quelque petite chose. Puis il dit au pauvre : Tu as bien peu donné, toi, mon ami ; mais chacun des sous qui sont dans cette balance représente une privation pour toi ; si tu n'as pas fait l'aumône, tu as fait la charité, et ce qu'il y a de mieux, tu as fait la charité naturellement, sans penser qu'on t'en tiendrait compte ; tu as été indulgent ; tu n'as pas jugé ton semblable, tu l'as au contraire excusé dans toutes ses actions : passe à droite, et va recevoir ta récompense. (UN ESPRIT PROTECTEUR. Lyon, 1861.)

16. La femme riche, heureuse, qui n'a pas besoin d'employer son temps aux travaux de son ménage, ne peut-elle consacrer quelques heures à des travaux utiles pour ses semblables ? Qu'avec le superflu de ses joies elle achète de quoi couvrir le malheureux qui grelotte de froid ; qu'elle fasse, de ses mains délicates, de grossiers mais chauds vêtements ; qu'elle aide la mère à couvrir l'enfant qui va naître ; si son enfant, à elle, a quelques dentelles de moins, celui du pauvre aura plus chaud. Travailler pour les pauvres, c'est travailler à la vigne du Seigneur.

Et toi, pauvre ouvrière, qui n'as pas de superflu, mais qui veux, dans ton amour pour tes frères, donner aussi du peu que tu possèdes, donne quelques heures de ta journée, de ton temps ton seul trésor ; fais de ces ouvrages élégants qui tentent les heureux ; vends le travail de ta veille, et tu pourras aussi procurer à tes frères ta part de soulagement ; tu auras peut-être quelques rubans de moins, mais tu donneras des souliers à celui qui a les pieds nus.

Et vous, femmes vouées à Dieu, travaillez aussi à son oeuvre, mais que vos ouvrages délicats et coûteux ne soient pas faits seulement pour orner vos chapelles, pour attirer l'attention sur votre adresse et votre patience ; travaillez, mes filles, et que le prix de vos ouvrages soit consacré au soulagement de vos frères en Dieu ; les pauvres sont ses enfants bien-aimés ; travailler pour eux, c'est le glorifier. Soyez-leur la Providence qui dit : Aux oiseaux du ciel Dieu donne la pâture. Que l'or et l'argent qui se tissent sous vos doigts se changent en vêtements et en nourriture pour ceux qui en manquent. Faites cela, et votre travail sera béni.

Et vous tous qui pouvez produire, donnez ; donnez votre génie, donnez vos inspirations, donnez votre coeur que Dieu bénira. Poètes, littérateurs, qui n'êtes lus que par les gens du monde, satisfaites leurs loisirs, mais que le produit de quelques-unes de vos oeuvres soit consacré au soulagement des malheureux ; peintres, sculpteurs, artistes en tous genres, que votre intelligence vienne aussi en aide à vos frères, vous n'en aurez pas moins de gloire, et il y aura quelques souffrances de moins.

Tous vous pouvez donner ; dans quelque classe que vous soyez, vous avez quelque chose que vous pouvez partager ; quoi que ce soit que Dieu vous ait donné, vous en devez une partie à celui qui manque du nécessaire, parce qu'à sa place vous seriez bien aises qu'un autre partageât avec vous. Vos trésors de la terre seront un peu moindres, mais vos trésors dans le ciel seront plus abondants ; vous y recueillerez au centuple ce que vous aurez semé en bienfaits ici-bas. (JEAN. Bordeaux, 1861.)


La pitié


17. La pitié est la vertu qui vous rapproche le plus des anges ; c'est la soeur de charité qui vous conduit vers Dieu. Ah ! laissez votre coeur s'attendrir à l'aspect des misères et des souffrances de vos semblables ; vos larmes sont un baume que vous versez sur leurs blessures, et lorsque, par une douce sympathie, vous parvenez à leur rendre l'espérance et la résignation, quel charme n'éprouvez-vous pas ! Ce charme, il est vrai, a une certaine amertume, car il naît à côté du malheur ; mais s'il n'a pas l'âcreté des jouissances mondaines, il n'a pas les poignantes déceptions du vide que celles-ci laissent après elles ; il a une suavité pénétrante qui réjouit l'âme. La pitié, une pitié bien sentie, c'est de l'amour ; l'amour, c'est du dévouement ; le dévouement, c'est l'oubli de soi-même ; et cet oubli, cette abnégation en faveur des malheureux, c'est la vertu par excellence, celle qu'a pratiquée toute sa vie le divin Messie, et qu'il a enseignée dans sa doctrine si sainte et si sublime. Lorsque cette doctrine sera rendue à sa pureté primitive, qu'elle sera admise par tous les peuples, elle donnera le bonheur à la terre en y faisant régner enfin la concorde, la paix et l'amour.

Le sentiment le plus propre à vous faire progresser en domptant votre égoïsme et votre orgueil, celui qui dispose votre âme à l'humilité, à la bienfaisance et à l'amour de votre prochain, c'est la pitié ! cette pitié qui vous émeut jusque dans vos entrailles devant les souffrances de vos frères, qui vous fait leur tendre une main secourable et vous arrache de sympathiques larmes. N'étouffez donc jamais dans vos coeurs cette émotion céleste, ne faites pas comme ces égoïstes endurcis qui s'éloignent des affligés, parce que la vue de leur misère troublerait un instant leur joyeuse existence ; redoutez de rester indifférents lorsque vous pouvez être utiles. La tranquillité achetée au prix d'une indifférence coupable, c'est la tranquillité de la mer Morte, qui cache au fond de ses eaux la vase fétide et la corruption.

Que la pitié est loin cependant de causer le trouble et l'ennui dont s'épouvante l'égoïste ! Sans doute l'âme éprouve, au contact du malheur d'autrui et en faisant un retour sur elle-même, un saisissement naturel et profond qui fait vibrer tout votre être et vous affecte péniblement ; mais la compensation est grande, quand vous parvenez à rendre le courage et l'espoir à un frère malheureux qu'attendrit la pression d'une main amie, et dont le regard, humide à la fois d'émotion et de reconnaissance, se tourne doucement vers vous avant de se fixer sur le ciel pour le remercier de lui avoir envoyé un consolateur, un appui. La pitié est le mélancolique mais céleste précurseur de la charité, cette première des vertus dont elle est la soeur et dont elle prépare et ennoblit les bienfaits. (MICHEL. Bordeaux, 1862.)


Les orphelins


18. Mes frères, aimez les orphelins ; si vous saviez combien il est triste d'être seul et abandonné, surtout dans le jeune âge ! Dieu permet qu'il y ait des orphelins pour nous engager à leur servir de pères. Quelle divine charité d'aider une pauvre petite créature délaissée, de l'empêcher de souffrir de la faim et du froid, de diriger son âme afin qu'elle ne s'égare pas dans le vice ! Qui tend la main à l'enfant abandonné est agréable à Dieu, car il comprend et pratique sa loi. Pensez aussi que souvent l'enfant que vous secourez vous a été cher dans une autre incarnation ; et si vous pouviez vous souvenir, ce ne serait plus de la charité mais un devoir. Ainsi donc, mes amis, tout être souffrant est votre frère et a droit à votre charité, non pas cette charité qui blesse le coeur, non cette aumône qui brûle la main dans laquelle elle tombe, car vos oboles sont souvent bien amères ! Que de fois elles seraient refusées si, au grenier, la maladie et le dénuement ne les attendaient pas ! Donnez délicatement, ajoutez au bienfait le plus précieux de tous : une bonne parole, une caresse, un sourire d'ami ; évitez ce ton de protection qui retourne le fer dans un coeur qui saigne, et pensez qu'en faisant le bien, vous travaillez pour vous et les vôtres. (UN ESPRIT FAMILIER. Paris, 1860.)


Bienfaits payés par l'ingratitude

19. Que faut-il penser des gens qui, ayant été payés de leurs bienfaits par l'ingratitude, ne font plus de bien de peur de rencontrer des ingrats ?

Ces gens-là ont plus d'égoïsme que de charité ; car ne faire le bien que pour en recevoir des marques de reconnaissance, ce n'est pas le faire avec désintéressement, et le bienfait désintéressé est le seul qui soit agréable à Dieu. C'est aussi de l'orgueil, car ils se complaisent dans l'humilité de l'obligé qui vient mettre sa reconnaissance à leurs pieds. Celui qui cherche sur la terre la récompense du bien qu'il fait ne la recevra pas au ciel ; mais Dieu tiendra compte à celui qui ne la cherche pas sur la terre.

Il faut toujours aider les faibles, quoique sachant d'avance que ceux à qui on fait le bien n'en sauront pas gré. Sachez que si celui à qui vous rendez service oublie le bienfait, Dieu vous en tiendra plus de compte que si vous étiez déjà récompensés par la reconnaissance de votre obligé. Dieu permet que vous soyez parfois payés d'ingratitude pour éprouver votre persévérance à faire le bien.

Que savez-vous, d'ailleurs, si ce bienfait, oublié pour le moment, ne portera pas plus tard de bons fruits ? Soyez certains, au contraire, que c'est une semence qui germera avec le temps. Malheureusement vous ne voyez toujours que le présent ; vous travaillez pour vous, et non en vue des autres. Les bienfaits finissent par amollir les coeurs les plus endurcis ; ils peuvent être méconnus ici-bas, mais lorsque l'Esprit sera débarrassé de son voile charnel, il se souviendra, et ce souvenir sera son châtiment ; alors il regrettera son ingratitude ; il voudra réparer sa faute, payer sa dette dans une autre existence, souvent même en acceptant une vie de dévouement envers son bienfaiteur. C'est ainsi que, sans vous en douter, vous aurez contribué à son avancement moral, et vous reconnaîtrez plus tard toute la vérité de cette maxime : Un bienfait n'est jamais perdu. Mais vous aurez aussi travaillé pour vous, car vous aurez le mérite d'avoir fait le bien avec désintéressement, et sans vous être laissé décourager par les déceptions.

Ah ! mes amis, si vous connaissiez tous les liens qui, dans la vie présente, vous rattachent à vos existences antérieures ; si vous pouviez embrasser la multitude des rapports qui rapprochent les êtres les uns des autres pour leur progrès mutuel, vous admireriez bien mieux encore la sagesse et la bonté du Créateur qui vous permet de revivre pour arriver à lui. (GUIDE PROTECTEUR. Sens, 1862.)


Bienfaisance exclusive



20. La bienfaisance est-elle bien entendue quand elle est exclusive entre les gens d'une même opinion, d'une même croyance ou d'un même parti ?

Non, c'est surtout l'esprit de secte et de parti qu'il faut abolir, car tous les hommes sont frères. Le vrai chrétien ne voit que des frères dans ses semblables, et avant de secourir celui qui est dans le besoin, il ne consulte ni sa croyance, ni son opinion en quoi que ce soit. Suivrait-il le précepte de Jésus-Christ, qui dit d'aimer même ses ennemis, s'il repoussait un malheureux, parce que celui-ci aurait une autre foi que la sienne ? Qu'il le secoure donc sans lui demander aucun compte de sa conscience, car si c'est un ennemi de la religion, c'est le moyen de la lui faire aimer ; en le repoussant, on la lui ferait haïr. (SAINT LOUIS. Paris, 1860.)

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